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La France confirme son avance en matière de gestion des ruptures d’approvisionnement pour les DM et les DMDIV

Saga – Rupture d’approvisionnement des produits de santé en Europe
5ème volet

La France confirme son avance en matière de gestion des ruptures d’approvisionnement pour les DM et les DMDIV

 

En 2006 déjà, l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS)[1] avait été chargée, par la Direction générale de la santé, d’élaborer une liste des dispositifs médicaux et dispositifs médicaux de diagnostic in vitro (ci-après « DM ») jugés indispensables[2] en cas de pandémie de grippe aviaire. Cette demande s’inscrivait dans le cadre du Plan Gouvernemental visant notamment à maintenir un approvisionnement adéquat des produits de santé en cas de crise sanitaire majeure[3].

En 2021, dans un contexte où les pénuries de produits de santé sont venues à l’ordre du jour européen[4] cette fois, l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) a défini[5],  une procédure de gestion anticipée des ruptures et risques de rupture dans la disponibilité des DM dits indispensables[6]. Ainsi depuis le 1er septembre 2021, les industriels fabriquant et/ ou mettant sur le marché des DM considérés comme indispensables[7], sont contraints de signaler à l’ANSM toute rupture de stock ou d’approvisionnement relative à ces dispositifs[8], à la suite de quoi, ils sont tenus de se conformer à la procédure établie par l’Agence[9]. Cette procédure compte deux étapes, toutes les deux pilotées par le fabricant : au cours de la première étape, il met en œuvre toutes les actions permettant d’éviter la rupture. La seconde étape, déclenchée uniquement si la première n’aboutit pas, est menée en partenariat avec l’ANSM qui veillera à soutenir et renforcer les actions menées par l’industriel afin de sécuriser la mise à disposition des produits sur le marché[10]. C’est seulement à ce stade de la procédure, que l’ANSM pourra notamment identifier des solutions en lien avec son réseau de partenaires[11]. Grâce à ce système déclaratif, l’Agence recense en temps réel les DM indispensables faisant l’objet de difficultés d’approvisionnement et publie sur son site, à destination des professionnels de santé, des patients et des acheteurs potentiellement concernés, une liste les répertoriant[12]. Si cette initiative était louable, aucun texte législatif français n’encadrait l’indisponibilité des DM, permettant ainsi de pérenniser les actions mises en œuvre par l’ANSM et les opérateurs[13].

La loi n°2023-171 du 9 mars dernier (publiée au JO du 10 mars) portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture (« DDADUE ») devrait permettre de remédier à cette situation. Initialement prévu pour ratifier les ordonnances n°2022-582 et n°2022-1086[14], l’article 23 du projet a été largement complété par les sénateurs pour introduire également dans le Code de la santé publique (CSP) un volet relatif à la prévention des ruptures d’approvisionnement des DM[15]. Ces mesures d’anticipation ne sont pas nouvelles puisqu’elles avaient déjà été adoptées dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2022[16], avant d’être censurées par le conseil constitutionnel, les considérant comme inappropriées pour une LFSS[17]. Ces dernières vont permettre, en cas d’indisponibilité d’un DM et suivant des critères qui seront fixés ultérieurement par voie réglementaire, au fabricant ou son mandataire ou toute personne qui se livre à son importation ou à sa distribution, à l’exclusion de la vente au détail ou encore, à défaut, à l’ANSM après consultation des opérateurs précités, de qualifier la « situation de risque dans la prise en charge de l’état de santé du patient »[18]. De cette qualification vont naître des obligations pour l’opérateur à l’origine de la démarche :

  • Qu’il ait pris la décision de suspendre ou de cesser la commercialisation du DM ou qu’il ait eu connaissance de faits susceptibles d’entraîner la suspension ou la cessation de cette commercialisation, ce dernier doit en informer l’ANSM[19];
  • Il doit également mettre en œuvre « toute mesure utile et nécessaire anticipée visant à assurer la continuité de la prise en charge de l’état de santé du patient dans son intérêt»[20] (les personnes se livrant à la vente au détail ne sont pas visées par cette obligation) ;
  • Dans certaines situations d’indisponibilité préjudiciable à l’état de santé du patient ou lorsque les mesures d’anticipation mentionnées au (ii) n’ont pas permis d’éviter le risque dans la prise en charge de l’état de santé du patient, il doit déclarer auprès de l’ANSM le risque de rupture ou la rupture[21] (les personnes se livrant à la vente au détail ne sont pas visées par cette obligation).

Dans l’hypothèse où les obligations (ii) et (iii) ne seraient pas respectées, l’ANSM prend, après avoir consulté l’opérateur, les professionnels de santé et les associations de patients et d’usagers concernés, toute mesure utile et nécessaire pour éviter la rupture et assurer la continuité de la prise en charge de l’état de santé du patient dans son intérêt[22].

Par ailleurs, l’opérateur ne procédant pas à l’information visée au (iii) supra de l’ANSM, encourt une sanction financière[23], pouvant être assortie d’une astreinte journalière[24]. Le montant de la sanction prononcée ne pourra toutefois pas excéder la somme de 150 000 € pour une personne physique et 30% du chiffre d’affaires réalisé lors du dernier exercice clos pour le DM concerné[25], dans la limite d’un million d’euros pour une personne morale. En sus de cette pénalité financière, dans le cas où l’ANSM se décidait à publier sa décision de sanction sur son site, l’opérateur « défaillant » s’expose également à un risque réputationnel[26].

Le régime mis en place par la loi DDADUE devrait être précisé avec l’adoption de mesures réglementaires. La France ne peut que se féliciter de cette nouvelle réglementation ambitieuse abordant la question des ruptures de stocks de DM dans sa globalité et non seulement limitée aux crises sanitaires. Néanmoins, l’entrée en application récente du Règlement (UE) 2022/123[27] pour les DM pose la question de l’articulation qu’il conviendra d’opérer entre les listes des DM « critiques » établies par l’Agence européenne des médicaments[28] et celles des DM « indispensables » élaborées par l’ANSM[29] ou encore, si elles s’avèrent être différentes, celles des DM dont l’indisponibilité conduirait à « une situation de risque dans la prise en charge de l’état de santé du patient »[30]. Affaire à suivre…

 

[1] Devenue aujourd’hui l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM).
[2] Un dispositif médical indispensable a été défini comme « un dispositifs dont la rupture d’approvisionnement peut avoir un impact clinique irréversible soit directement de part leur action propre sur le patient soit indirectement parce qu’ils sont un outil nécessaire à un acte incontournable dans la prise en charge du patient » (Rapport de l’AFSSAPS, « LISTE DES DISPOSITIFS MEDICAUX INDISPENSABLES EN CAS DE CRISE SANITAIRE MAJEURE : CAS DE LA PANDEMIE GRIPPALE », sep. 2009, p.14).
[3] Présentation de l’AFSSAPS, « Liste des dispositifs médicaux indispensables (DM et DM-DIV) en cas de crise sanitaire majeure », oct. 2009.
[4] Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à un rôle renforcé de l’Agence européenne des médicaments dans la préparation aux crises et la gestion de celles-ci en ce qui concerne les médicaments et les dispositifs médicaux, jui. 2021.
[5] « dans le cadre d’une large concertation avec les organisations professionnelles et les industriels du secteur, les groupements d’acheteurs et les utilisateurs » (site de l’ANSM « Indisponibilité d’un dispositif médical : l’ANSM publie une procédure de gestion préventive pour les opérateurs du marché », aoû. 2021).
[6] Site de l’ANSM « Indisponibilité d’un dispositif médical : l’ANSM publie une procédure de gestion préventive pour les opérateurs du marché », aoû. 2021.
[7] L’ANSM les définit comme ceux « dont le défaut pourrait remettre en cause la continuité des soins apportés au patient » (site de l’ANSM, « Déclarer une rupture de stock d’un dispositif médical ou d’un dispositif médical de diagnostic in vitro indispensable », oct. 2021).
[8] L’ANSM a mis à disposition de ces opérateurs un guide pour remplir le formulaire de déclaration de rupture dans la disponibilité de DM.
[9] L’ANSM a mis à disposition de ces fabricants, un logigramme de prise de décision et un descriptif détaillé de ce logigramme, pour les guider dans la mise en œuvre de cette procédure de gestion anticipée.
[10] Site de l’ANSM, « Déclarer une rupture de stock d’un dispositif médical ou d’un dispositif médical de diagnostic in vitro indispensable », oct. 2021.
[11] Exemples d’accompagnements et d’aides à la gestion d’une rupture apportés par l’ANSM : création et sollicitation en tant que de besoin du « groupe contacts », circulation de l’information vers l’ensemble des opérateurs (fabricants, acheteurs, utilisateurs), par des communications/mises en ligne, recherche d’alternatives, sollicitation et implication des structures de l’Etat (Ministère, autres agences etc.), sollicitation et implication des sociétés savantes, etc. (Guide  de l’ANSM, pour le formulaire de déclaration par l’opérateur d’une rupture ou d’un risque de rupture dans la disponibilité de DM ou DMDIV).
[12] Site de l’ANSM, « Disponibilité des produits de santé – Dispositifs médicaux ».
[13] Amendement n°2286 à la PLFSS pour 2022, présenté par le Gouvernement, p.3.
[14] Ordonnances n°2022-582 du 20 avril 2022 et n°2022-1086 du 29 juillet 2022, portant adaptation du droit français aux Règlements (UE) 2017/745 et 746.
[15] Rapport n°748 du 18 janvier 2023 de l’Assemblée nationale, Commentaires des articles, Article 23.
[16] Art. 60 de la LFSS pour 2022.
[17] Décision n°2021-832 du Conseil constitutionnel du 16 décembre 2021.
[18] Art. L.5211-5-1 §I. du CSP pour les dispositifs médicaux et L.5221-7 §I. du CSP pour les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro.
[19] Ibid note 18, §II.
[20] Ibid note 18, §III.
[21] Ibid note 18, §IV.
[22] Ibid note 18, §V.
[23] Art. L.5461-9, 24°, art. L.5462-8, 20° et art. L.5471-1 §I. du CSP.
[24] Astreinte journalière limitée à 2 500 € par jour dans les conditions de l’art. L.5471-1 §II. alinéa 1 du CSP.
[25] Art. L.5461-9, 24°, art. L.5462-8, 20° et art. L.5471-1 §III. alinéa 2 du CSP.
[26] Art. L.5471-1 IV. du CSP.
[27] Règlement (UE) 2022/123 du parlement européen et du conseil du 25 janvier 2022 relatif à un rôle renforcé de l’Agence européenne des médicaments dans la préparation aux crises et la gestion de celles-ci en ce qui concerne les médicaments et les dispositifs médicaux.
[28] Issues de l’art. 22 §1. du Règlement (UE) 2022/123.
[29] Issues de l’initiative du 1er sept. 2021 de l’ANSM.
[30] Issues de la loi DDADUE.