Smart News | Responsabilité financière des gestionnaires publics
Marion Roquette-Pfister
Antoine PretotCollaborateurParisAntoine Pretot
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Revue du premier arrêt de la cour d’appel financière
L’arrêt Alpexpo est le premier arrêt rendu par la Cour d’appel financière, créée par l’ordonnance du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics, qui a également institué un nouveau régime de responsabilité financière des gestionnaires publics.
Cet arrêt fait suite à l’appel interjeté par le Parquet Général près la Cour des comptes à l’encontre de la décision de la chambre du contentieux du 11 mai 2023 rendue à propos d’agissements de plusieurs dirigeants de la société publique locale Alpexpo (« SPL Alpexpo ») susceptibles de constituer des infractions financières (Cour des comptes, Société Alpexpo, 11 mai 2023, Arrêt n° S-2023-0604).
Dans cette décision, la chambre du contentieux a eu à connaître de trois infractions reprochées par le Procureur général près la Cour des comptes aux deux présidents-directeurs généraux successifs de la SPL Alpexpo (« MM. X et Y ») et à sa dirigeante de fait (« Mme Z »), mise à la disposition de la société sur la base d’un contrat de management de transition conclu avec un prestataire privé (i.e., la société MCG Managers).
Il était fait grief à MM. X et Y d’avoir commis une faute grave ayant causé un préjudice financier significatif à la SPL Alpexpo, au sens du nouvel article L131-9 du Code des juridictions financières, issu de l’ordonnance du 23 mars 2022 et applicable aux faits en cause en vertu du principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce. L’infraction était constituée par plusieurs faits, dont notamment des achats pour le compte de la SPL Alpexpo réalisés en méconnaissance des règles de la commande publique.
Mme Z a quant à elle été mise en cause pour avoir (i) signé des actes d’engagement de dépenses de la SPL Alpexpo pour l’exécution de contrats de travail et de la commande publique sans en avoir le pouvoir ni avoir reçu de délégation ; et (ii) engagé des dépenses constitutives d’avantages injustifiés octroyés à autrui (i.e., son époux) et à elle-même.
Au terme de son arrêt, la chambre du contentieux avait :
- Condamné Mme Z à une amende de 3 500 EUR pour les deux infractions qui lui étaient reprochées ; et
- Relaxé MM. X et Y, après avoir rejeté l’existence d’un préjudice financier significatif, au motif notamment qu’il était « impossible d’apprécier le montant des sommes » en cause.
Mme Z n’a cependant pas été condamnée pour s’être octroyé des avantages à elle-même car, au moment des faits, seul l’octroi d’un avantage à autrui était visé par le Code des juridictions financières. Depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 23 mars 2022 le 1er janvier 2023, l’octroi d’un avantage à soi-même constitue une infraction à part entière. Autrement dit, la chambre du contentieux a refusé de faire une application rétroactive de la disposition issue du nouveau régime de responsabilité.
Le Parquet Général a interjeté appel de cet arrêt en faisant valoir que :
- MM. X et Y ont bien causé un préjudice financier significatif à la SPL Alpexpo ; et
- Mme Z aurait dû se voir condamner pour s’être octroyé un avantage injustifié à elle-même.
Par arrêt du 12 janvier 2024, la Cour d’appel financière a rejeté l’appel.
Cet arrêt est particulièrement intéressant au moins à deux titres.
D’une part, il est le premier arrêt précisant l’applicabilité et l’appréciation de la notion de préjudice financier significatif. D’autre part, il confirme que l’infraction d’avantage injustifié octroyé à soi-même ne s’applique pas aux faits antérieurs au 1er janvier 2023.
S’agissant du préjudice financier significatif, la Cour d’appel financière a d’abord confirmé l’applicabilité de la nouvelle disposition aux faits antérieurs au 1er janvier 2023. Sur ce point, elle a renvoyé à l’arrêt de la chambre du contentieux qui a considéré la nouvelle disposition exigeant une faute grave et un préjudice financier significatif comme plus douce que l’ancien article L313-4 du Code des juridictions financières relatif à la violation des règles concernant l’exécution des recettes et des dépenses.
La Cour d’appel financière a ensuite précisé les modalités d’appréciation du préjudice financier significatif :
« Sans qu’il soit nécessaire d’établir le montant exact du préjudice financier éventuel, l’ordre de grandeur de ce préjudice doit être évalué avec une précision suffisante pour pouvoir ensuite être apprécié au regard des éléments financiers de l’entité ou du service concerné. Lorsque, par ailleurs et comme en l’espèce, cette entité ou ce service n’est pas tenu d’établir et d’approuver un budget, il convient de se référer aux éléments financiers pertinents selon le régime juridique et comptable applicable à cette entité ou à ce service, tels notamment ceux qui ressortent du bilan ou du compte de résultat. Il appartient au juge de fonder sa décision sur les pièces apportées au cours de la procédure et contradictoirement discutées devant lui. »
En l’espèce, la juridiction financière a rejeté l’argument selon lequel un tel préjudice était constitué par le fait d’avoir conclu plusieurs marchés publics en violation des règles de la commande publique. Elle a jugé que le simple fait de violer les règles de la commande publique n’entraînait pas un tel préjudice significatif et que le Procureur général « n’établit pas, en se bornant à énumérer le montant des dépenses [litigieuses], que ces dépenses auraient pu être moindres – dans des proportions qu’au demeurant, il ne précise pas – si ces règles avaient été respectées. »
La Cour d’appel financière a en outre considéré que le montant du préjudice allégué (i.e., 15 000 EUR) n’était pas significatif au regard du chiffre d’affaires de la SPL Alpexpo, qui était supérieur à 6 millions d’EUR sur la période en cause, et du montant de ses charges d’exploitation, passé de 8,8 millions d’EUR à 6,7 millions d’EUR sur ladite période.
Ce faisant, la juridiction financière a pour la première fois posé un standard d’appréciation du préjudice financier significatif et a estimé que le préjudice prétendument causé à la SPL Alpexpo n’était pas suffisant en l’espèce pour engager la responsabilité de MM. X et Y.
Enfin, et de manière plus classique, la Cour d’appel financière a jugé que l’infraction d’octroi d’un avantage injustifié à soi-même reprochée à Mme Z ayant été nouvellement créée par l’ordonnance du 23 mars 2022, elle ne pouvait s’appliquer aux faits antérieurs à son entrée en vigueur. Ainsi, elle a rejeté le moyen selon lequel la nouvelle disposition devait être appliquée à Mme Z.