Smart News | Droit de la construction et de l’urbanisme
Aurélie Dauger et Hélène Cloëz vous proposent de retrouver régulièrement une sélection de l’actualité légale et jurisprudentielle en droit de la construction et de l’urbanisme.
Droit de la construction
Du nouveau sur l’actualité jurisprudentielle : Travaux réalisés d’office par la commune chez une personne privée sur le fondement d’une décision annulée : le propriétaire de l’immeuble reste tenu de payer
Cass., civ. 3è, 26 octobre 2022, n°21-12.674, publié au bulletin
Constatant qu’un immeuble érigé sur son territoire menaçait ruine, une commune a pris en 2008 un arrêté de péril imminent prescrivant des travaux confortatifs particulièrement lourds. Face à la carence du syndicat des copropriétaires de l’immeuble, la commune a fait réaliser d’office les travaux, dont elle a ultérieurement demandé le remboursement aux copropriétaires comme le permet l’article L.511-4 du Code de la construction et de l’habitation dans sa version applicable aux faits (devenu l’article L.511-17).
L’arrêté de péril imminent a été annulé par décision de la juridiction administrative du 28 février 2012, privant ainsi de fondement le titre de recouvrement.
La commune a toutefois assigné le syndicat des copropriétaires en paiement des sommes engagées pour la réalisation des travaux. La cour d’appel a fait droit à sa demande sur le fondement de l’enrichissement sans cause.
Le syndicat des copropriétaires s’est pourvu en cassation, estimant d’une part que l’appauvrissement de la commune n’était pas sans cause puisqu’il résultait de l’exécution d’une obligation légale, et d’autre part que l’enrichissement sans cause est une action subsidiaire, interdite lorsqu’il existe une autre action, même si celle-ci se heurte à un obstacle de droit.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi considérant (i) que l’annulation rétroactive de l’arrêté de péril avait fait disparaitre toute obligation légale, pour la commune, de suppléer la carence des copropriétaires (ii) et que le fait de ne pas pouvoir émettre de titre de recouvrement n’était pas constitutif d’un obstacle de droit: l’action de in rem verso n’avait donc pas ici pour but de palier l’erreur de la commune, mais constituait véritablement le seul moyen de recouvrer un appauvrissement injuste, car sans cause.
Ce que cela implique
Hors les cas spécialement prévus par la loi, la théorie des quasi-contrats tels que l’enrichissement sans cause ou la gestion d’affaires, souvent méconnue, peut permettre l’indemnisation de celui qui a assuré, sans aucun titre pour ce faire, la maîtrise d’ouvrage de travaux au seul profit d’un tiers.
Les conditions sont cependant restrictives. L’appauvri ne doit pas avoir agi en exécution d’une obligation légale, et ne doit disposer d’aucune autre action pour agir contre l’enrichi.
Du nouveau sur l’actualité législative : Le CCMI doit chiffrer de façon réaliste l’ensemble des travaux
Cass. 3e, civ. 12 octobre 2022, n° 21-12507
Un couple ayant conclu un contrat de construction de maison individuelle (CCMI) avec fourniture de plan a assigné le constructeur en indemnisation au titre des travaux dont il s’était réservé la maîtrise d’ouvrage, non ou mal chiffrés par la notice descriptive.
La Cour de cassation rappelle que le maître d’ouvrage est fondé à demander que le coût des travaux non chiffrés et le coût supplémentaire de ceux chiffrés de façon irréaliste soient mis à la charge du constructeur à titre d’indemnisation.
Il s’agit d’un nouvel arrêt protecteur des acquéreurs qui doivent être parfaitement avertis du coût total de la construction envisagée afin de ne pas s’engager dans une opération qu’ils ne seraient pas capables de mener à son terme.
L’arrêt tempère toutefois cette protection en précisant que l’acquéreur ne peut se prévaloir d’un défaut d’information sur les modalités de révision du prix alors qu’il a reconnu expressément en avoir pris connaissance selon une mention manuscrite et signature.
Ce que cela implique
Les travaux réservés à l’acquéreur qui n’ont pas été chiffrés ou l’ont été de façon irréaliste par le constructeur peuvent être mis à la charge du constructeur à titre de réparation.
Du nouveau sur l’actualité jurisprudentielle : L’usufruitier, qui n’est pas le propriétaire de l’ouvrage, n’a pas qualité pour agir sur le fondement de la garantie décennale, même s’il est le donneur d’ordre. L’action en responsabilité contractuelle lui est cependant ouverte
Cass., civ. 3è, 16 novembre 2022, n°21-23505 publié au bulletin
Une SARL, usufruitière d’un bâtiment à usage commercial, missionne une entreprise pour réaliser des travaux de couverture.
Non réglée du solde de son marché, l’entreprise obtient devant le tribunal de commerce une ordonnance portant injonction de payer contre laquelle l’usufruitière forme opposition au motif de désordres de nature décennale affectant la couverture et de préjudices immatériels en résultant.
L’entreprise s’oppose à ces demandes reconventionnelles en contestant la qualité à agir de la SARL sur ce fondement dès lors qu’elle ne dispose pas de la pleine propriété de l’ouvrage. L’argument est retenu par la Cour d’appel, qui rejette les demandes de la SARL.
Celle-ci forme un pourvoi en soutenant que dès lors qu’elle avait agi en qualité de maître d’ouvrage, et qu’elle était liée à l’entreprise par un contrat de louage d’ouvrage, cette dernière était tenue à son égard de la garantie décennale.
La Cour de cassation rappelle que l’action décennale est attachée à la propriété de l’ouvrage et non sa jouissance, et rejette le moyen.
Cette solution, admise pour des travaux réalisés par un locataire, implique qu’il ne suffit pas d’être donneur d’ordre pour bénéficier de la garantie décennale, mais également propriétaire. Si le texte de l’article 1792 du Code civil ne le prévoit pas expressément, c’est en revanche le cas dans l’article L242-1 du Code des assurances pour le régime de l’assurance DO obligatoire.
Des exceptions ont cependant été admises lorsque le donneur d’ordre justifie de droits réels, comme dans le cas d’un maître d’ouvrage preneur d’un bail à construction.
Reste à savoir si cette solution sera maintenue avec la réforme du droit des contrat spéciaux, qui, en l’état du projet soumis à consultation, substitue la notion de « client » à celle de « maître d’ouvrage », de sorte que l’action en garantie décennale pourrait être ouverte plus largement au donneur d’ordre qui ne serait pas nécessairement le propriétaire.
A noter enfin que l’arrêt commenté est cassé en ce qu’il avait refusé de retenir la responsabilité contractuelle de l’entreprise, fondement subsidiaire de la SARL : bien que ne pouvant pas bénéficier de la garantie décennale, le donneur d’ordre non propriétaire conserve les actions fondées sur la responsabilité civile contractuelle.
Du nouveau sur l’actualité jurisprudentielle : Illustration de l’impact de la qualification du contrat (vente ou entreprise) sur le régime de responsabilité applicable : garanties légales du code de la consommation
Cass., civ. 3è, 12 octobre 2022, n°20-17.335
Cet arrêt offre un nouvel exemple de ce qui différentie le contrat de vente du contrat d’entreprise à savoir : le « travail spécifique » répondant à des « besoins particuliers ». En l’espèce la Cour a retenu le caractère suffisamment important du travail de découpe et de pose d’un plancher en vue de l’adaptation aux formes et aux dimensions de chaque pièce pour qualifier le contrat d’ « entreprise ».
Cette qualification permet à l’entreprise d’échapper aux règlementations applicables au droit de la vente, notamment l’obligation pour le « vendeur » de répondre des défauts de conformité résultant de l’installation lorsqu’elle a été mise à sa charge ou réalisée sous sa responsabilité (articles L.211-4 et suivants devenus L. 217-1 du Code de la consommation).
En effet, la Cour retient :
-que cette garantie de conformité prévue au code de la consommation ne s’applique qu’aux « biens meubles corporels dont la propriété est transférée en vertu d’un contrat de vente », auquel est assimilée la « fourniture d’un bien meuble à fabriquer ou à produire » ;
-que cette garantie s’applique également aux défauts de conformité résultant de l’installation du bien lorsque le contrat met cette installation à la charge du vendeur ;
-qu’en revanche, le locateur d’ouvrage n’est pas tenu à la garantie pour les matériaux qu’il fournit et met en œuvre en exécution d’un contrat de louage d’ouvrage (sauf si il s’agit d’un bien meuble à produire ou à fabriquer).
A noter qu’en contrepartie, l’entreprise est bien sûr tenue par les garanties légales constructeurs.
Ce que cela implique
Dès lors qu’une personne fournit un travail spécifique répondant aux besoins particuliers de son client, son contrat est un contrat d’entreprise et non de vente.
Cette qualification permet ainsi au locateur d’ouvrage qui se contente de la fourniture et la pose d’un parquet d’échapper aux obligations de délivrance conforme des articles L, 217-1 et suivants du Code de la consommation.
Droit de l’urbanisme
Du nouveau sur la réglementation : Domaines privés des personnes publiques et mise en concurrence
Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, 02/12/2022, 460100
Le Conseil d’État confirme que la délivrance des titres d’occupation du domaine privé des personnes publiques n’est pas soumise aux obligations de publicité et de mise en concurrence prévues par l’article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 puisqu’ils ne constituent pas une autorisation pour l’accès à une activité de service ou à son exercice :
« Il ne résulte ni des termes de cette directive ni de la jurisprudence de la Cour de justice que de telles obligations s’appliqueraient aux personnes publiques préalablement à la conclusion de baux portant sur des biens appartenant à leur domaine privé, qui ne constituent pas une autorisation pour l’accès à une activité de service ou à son exercice au sens du 6) de l’article 4 de cette même directive ».
Les dispositions de l’article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, transposées à l’article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques prévoient en effet des obligations de publicité et mise en concurrence préalablement à la délivrance d’autorisations d’occupation du domaine public permettant l’exercice d’une activité économique, ainsi que l’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt du 14 juillet 2016.
Comme l’a indiqué la rapporteure publique dans ses conclusions sur cette décision, cette solution met d’une certaine façon un terme aux craintes de bouleversement du droit applicable aux baux privés, notamment les baux commerciaux et les baux ruraux des personnes publiques.
Du nouveau sur la réglementation : Conséquences d’une demande de pièces non exigées par le code
Conseil d’État, 09/12/2022, n°454521
Le Conseil d’Etat juge désormais que le délai d’instruction des déclarations préalables, des demandes de permis de construire, d’aménager ou de démolir n’est ni interrompu, ni modifié par une demande illégale tendant à compléter le dossier par une pièce qui n’est pas exigée par le code de l’urbanisme.
Dans ce cas, une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite naît à l’expiration du délai d’instruction, sans qu’une telle demande puisse y faire obstacle.
Ainsi, un pétitionnaire pourra, une fois le délai normal d’instruction de la demande, expiré, et s’il considère que les pièces demandées n’étaient pas exigibles, invoquer la naissance à son profit d’un permis tacite ou d’une non-opposition implicite.
Il lui sera possible de demander à l’administration de lui en délivrer certificat en application de l’article R. 424-13 du code de l’urbanisme et contester éventuellement devant le juge un refus de délivrance du certificat.
Jusqu’à présent, le Conseil d’Etat jugeait que l’illégalité d’une demande de l’administration adressée au pétitionnaire tendant à la production d’une pièce complémentaire, non exigée par le code de l’urbanisme, était de nature à entacher d’illégalité le refus d’accorder l’autorisation demandé. En revanche, elle ne pouvait avoir pour effet de rendre le pétitionnaire titulaire d’un permis de construire tacite ou d’une décision implicite de non-opposition (CE, 9 décembre 2015, n°390273, aux Tables).
Du nouveau sur la réglementation : Urbanisme Commercial : Surface de vente
Conseil d’État, 09/12/2022, n°454521
Un sas d’entrée affecté à la circulation de la clientèle, a, selon le Conseil d’Etat, vocation à permettre aux clients de l’établissement de bénéficier de ses prestations commerciales, en dépit du fait qu’il n’accueille aucune marchandise.
Cet espace doit donc être regardé comme affecté à la circulation de la clientèle pour effectuer ses achats.
Il doit donc être intégré à la surface de vente retenue pour :
-la détermination des projets soumis à autorisation d’exploitation commerciale,
-le calcul de la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM).
Cette jurisprudence vient contredire l’arrêt du CE du 23 novembre 2018 qui avait défini la notion de surface de vente comme étant celle des lieux accessibles au public et directement liés à la vente (CE 1ère – 4ème chambres réunies, 06/06/2018, n°405608).