Huit ans de transition énergétique dans le secteur immobilier
par Philippe Pelletier, associé fondateur de LPA-CGR avocats et Président du Plan Bâtiment Durable
La fin du quinquennat et la publication fin janvier du rapport d’activité 2016 du Plan Bâtiment Durable sont l’occasion de dresser le bilan de huit ans d’action collective de la filière du bâtiment et de l’immobilier, au service de sa transition énergétique. Philippe Pelletier, président du Plan Bâtiment Durable évoque ce bilan, mais s’interroge également sur les recommandations pour l’avenir…
Le Plan Bâtiment Durable fait désormais partie du paysage : les forces qu’ils rassemblent sont devenues incontournables et les recommandations qu’il émet sont largement reprises par les pouvoirs publics, si bien que les idées portées par le Plan Bâtiment Durable trouvent désormais souvent une application concrète. Dans chaque champ immobilier, nous pouvons mesurer le chemin parcouru et identifier des voies de progrès pour l’avenir. Beaucoup a été fait, mais sans aucun doute, pour la nouvelle équipe gouvernementale, les défis à relever et les sujets à consolider demeurent nombreux.
Une méthode singulière appelée à se développer
Le Plan Bâtiment Durable est né d’une intuition : au lendemain du Grenelle de l’Environnement, il fallait maintenir dans la durée cette dynamique naissante entre les acteurs et susciter une mise en mouvement originale. Aujourd’hui, c’est un réseau de plusieurs milliers de partenaires à l’échelle nationale qui se démultiplie sur les territoires avec la création de Plans Bâtiment régionaux. Le Plan Bâtiment Durable est devenu un lieu de créativité et de réflexion, dont l’avis compte aux cotés des organisations professionnelles et des organismes représentant les intérêts collectifs de chaque segment de la filière. Il est devenu, pour les pouvoirs publics, comme une » boite à idées » en capacité de capter les signaux faibles, de se saisir de sujets en devenir et de mener des concertations élargies. Notre regroupement singulier constitue aussi un lieu de stabilité : deux mandats présidentiels et plusieurs dizaines d’interlocuteurs dans les ministères n’ont pas altéré ce lieu pérenne, traduisant aussi la continuité de l’action publique.
Aussi, il faut souhaiter que le Plan Bâtiment Durable soit appelé à se maintenir, mais également à se renforcer et, pourquoi pas, à ce que la méthode fasse contagion dans d’autres champs de l’action publique.
La performance énergétique : une évidence !
La performance environnementale : le sujet de demain.
Sur le plan des idées, il ne fait pas de doute que la performance énergétique des immeubles est aujourd’hui un sujet largement appréhendé par tous. La valeur verte progresse dans le secteur tertiaire où plus un actif n’est pris à bail sans une ou plusieurs certifications environnementales ; et il en va aussi dans le secteur résidentiel : les études menées par le Conseil Supérieur du Notariat montrent que les prix de transaction sont plus élevés pour les biens les plus sobres en énergie. La prise en compte de la performance énergétique est devenue une évidence.
C’est désormais une nouvelle étape qui se profile avec l’émergence de nouveaux indicateurs et un élargissement de notre spectre d’attention aux émissions de gaz à effet de serre du bâtiment. Si plusieurs organismes avaient déjà traduit cette dimension dans des labels, l’approche à vocation à se généraliser avec la future réglementation en matière de construction neuve, fondée sur un double pilier » énergie positive et sobriété carbone « . Ainsi, les bâtiments responsables de demain devront produire, à l’échelle de l’immeuble ou de l’îlot, plus d’énergie que leurs propres besoins et être faiblement émetteurs d’émissions de gaz à effet de serre et cela, tout au long de leur cycle de vie. Afin de généraliser cette nouvelle approche, une vaste expérimentation a été lancée fin 2016 par les pouvoirs publics sur la base d’un nouveau référentiel. Là encore, il faut saluer cette méthode qui laisse aux professionnels le temps de l’appropriation et des ajustements éventuels1.
La rénovation des logements : entre nouvelles dynamiques et vigilance accrue
Ce sujet est le plus vaste défi que nous avons à relever. L’objectif est clair : parvenir à rénover, dès cette année, 500 000
logements par an. A l’heure actuelle, on estime que près de 300 000 logements privés sont rénovés, un peu plus de 100 000 dans le parc social, quelques milliers en copropriété et un peu plus de 40 000 au titre de la lutte contre la précarité énergétique. Nous ne sommes donc pas si loin des objectifs affichés, d’autant que de nouvelles dynamiques émergent : faire de la transaction immobilière un moment privilégié de la rénovation énergétique, associer plus facilement adaptation du logement au vieillissement et travaux d’amélioration de la performance énergétique. Mais il convient de ne pas baisser la garde : en 2016, le programme national de lutte contre la précarité énergétique Habiter Mieux a permis de rénover 41 000 logements là où il était projeté d’en rénover 70 000 ; dans le même temps, les chiffres de cette précarité progressent. Il faut donc plus que jamais rester mobilisé.
Le parc tertiaire public et privé : une action volontaire en l’absence de signal réglementaire
C’est assurément l’un des feuilletons des huit années d’action du Plan Bâtiment Durable. Après un premier groupe de travail conduit alors par Serge Grzybowski, qui a permis notamment de mettre en place l’annexe environnementale au bail commercial, le parc tertiaire devait connaître par le jeu de la loi Grenelle 2 une obligation d’amélioration énergétique de ses immeubles entre 2012 et 2020. Après une concertation de place largement saluée, menée par Maurice Gauchot, venue préfigurer les lignes forces du futur décret, le texte réglementaire attendu n’a pas été publié. A l’heure où s’écrivent ces lignes, le projet de texte, qui a reçu dans ses grands axes, l’aval des acteurs concernés, est en discussion entre l’administration et le Conseil d’Etat : sans qu’il ne soit possible d’affirmer si le texte sera publié sous cette mandature… Plus les mois passent, plus on peine à imaginer la publication d’un texte dont la première échéance contraignante est 2020, et peut-être serait-il plus réaliste d’envisager de reporter l’échéance de dix ans.
Dans ce panorama, la charte d’engagement volontaire des acteurs du parc tertiaire public et privé lancée en octobre 2013 par le Plan Bâtiment Durable prend tout son sens. Elle a permis d’engager auprès des acteurs les plus sensibilisés une dynamique de rénovation énergétique de leurs actifs ; et de mieux connaitre les pratiques, les difficultés rencontrées, les perspectives, de sorte qu’il a été possible de concevoir un projet de décret compatible avec les pratiques immobilières. Mais l’essentiel du chemin demeure ; d’une part, car les signataires de la charte tertiaire sont les acteurs les plus sensibilisés et que l’enjeu réside désormais dans notre capacité à mettre en mouvement les acteurs du » petit » tertiaire et l’ensemble des collectivités territoriales, au premier rang d’entre elles les communes et intercommunalités ; d’autre part, parce que la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte a prolongé dans le temps l’obligation de travaux, en la portant jusqu’en 2050 avec un objectif de réduction de 60 % de l’énergie finale des actifs. Des rendez-vous intermédiaires auront lieu à chaque décennie : la rénovation énergétique du parc tertiaire doit donc se penser dans le temps long et à la lumière d’un objectif désormais identifé. C’est pourquoi, les enseignements tirés de notre action collective volontaire sont précieux et appelés à s’enrichir au cours des années à venir.
Quelles recommandations pour l’avenir ?
A la lumière de ce tableau, que recommander à nos futurs gouvernants ? Tout d’abord et avant tout, de nous donner stabilité et visibilité. L’envie sera sans doute grande de réformer, d’ajuster, de modifier : si cela doit se faire, il faudra ensuite assurer la permanence des dispositifs — notamment financiers et fiscaux — sur la durée du quinquennat afin de laisser le temps suffisant à leur bon déploiement.
Ensuite, il faudra renforcer l’action coordonnée entre l’échelon national et territorial : l’Etat doit fixer un cap clair, lancer une dynamique, mais l’action se déploiera dans les territoires, selon des sensibilités parfois différentes, liées aux particularités locales.
Enfin, à l’image du Plan Bâtiment Durable, il faudra faire confiance aux acteurs : pour expérimenter, pour concevoir des règles nouvelles ou de meilleures exigences, pour nouer de nouvelles collaborations, comme pour engager la métamorphose de leurs pratiques souvent, de leur modèle économique parfois, conduisant à porter à maturité l’ensemble de la filière. Les transitions à venir en 2017 devraient nourrir ces évolutions et le Plan Bâtiment Durable entend y tenir un rôle renforcé !
1 – Sur ce sujet, voir la précédente chronique sur les bâtiments responsables de demain.
Initialement publié par Immoweek, cet article est également consultable sur le site immoweek.fr : http://www.immoweek.fr/green-et-innovations/chronique/huit-ans-de-transition-energetique-secteur-immobilier/