Depuis le 1er août 2017 toute société française est soumise à l’obligation de déclarer son ou ses bénéficiaires effectifs.
par Silke Nadolni, MRICS, Avocat Associé, Responsable du département immobilier, et Julie Weiss, Avocat Collaborateur.
L’obligation de déclarer le bénéficiaire effectif résulte de la directive 2015/849/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative notamment à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, transposée en droit français par l’ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016 et le décret n° 2017-1094 du 12 juin 2017 et est entrée en vigueur le 1er août 2017.
Cette nouvelle obligation s’applique à partir du 1er août 2017 pour les sociétés créées à compter du 1er août 2017, alors que les sociétés déjà constituées au 1er août 2017 disposent d’un délai jusqu’au 1er avril 2018 pour se mettre en conformité avec la nouvelle législation[1].
L’obligation de déclarer le ou les bénéficiaire(s) effectif(s) concerne toute les formes de société française et donc entre autres celles intervenant dans le domaine immobilier et soulève de multiples questions quant à ses contours.
Toutes les sociétés, immobilières et autres, sont concernées
Toutes sociétés et entités juridiques, à savoir toutes sociétés civiles ou commerciales et notamment les groupements d’intérêt économique jouissant de la personnalité morale sont concernés par la nouvelle obligation[2]. Seules les sociétés cotées sont exclues du champ d’application.
Autrement dit, toutes les sociétés principalement utilisées lors de transactions immobilières, les sociétés civiles immobilières ainsi que les sociétés par actions simplifiées doivent se plier à l’exercice.
Notion de bénéficiaire effectif
Toute société doit désormais révéler le ou les bénéficiaire(s) effectif(s), à savoir la ou les personnes physiques qui contrôlent en dernier lieu, directement ou indirectement, la société; ou pour laquelle une opération est exécutée ou une activité exercée.
Si un décret définit le bénéficiaire effectif pour les entités non financières passives telles que des trusts[3], un décret en Conseil d’Etat demeure attendu pour préciser la définition et les modalités d’identification du bénéficiaire effectif pour les sociétés.
En attendant la parution de ce décret, il convient de se référer à la définition de la directive précitée, qui est d’application directe depuis le 26 juin 2017[4].
Selon la directive, le bénéficiaire effectif se détermine par une détention d’au moins 25% d’actions plus une ou de plus de 25% du capital.
A défaut d’identification certaine d’un bénéficiaire effectif par ce biais, la ou les personnes physiques qui occupent la position de représentant légal devront être indiqués comme bénéficiaire effectif[5]. Tel sera par exemple le cas pour une société d’un fonds immobilier, pour laquelle aucun des associés ne détiendra plus de 25% du capital.
Vos obligations déclaratives
Lors de la demande d’immatriculation d’une société et au plus tard dans les quinze jours à compter de la délivrance du récépissé de dépôt du dossier de constitution, un formulaire décrivant la détention et précisant le ou les bénéficiaires effectifs est désormais à déposer en annexe du registre du commerce et des sociétés au registre des bénéficiaires effectifs. Par ailleurs, dès qu’un fait ou acte modifie les informations ainsi déclarées, un nouveau formulaire est à déposer au registre du commerce et des sociétés dans un délai de trente jours[6].
Plus précisément, les informations fournies doivent comprendre les éléments d’identification du bénéficiaire effectif, le domicile personnel, la date à laquelle la ou les personnes physiques sont devenues le bénéficiaire effectif ainsi que les modalités de contrôle exercé[7].
La déclaration concernant le ou les bénéficiaire(s) effectif(s) doit être signée par le représentant légal de la société concernée.
Si ces déclarations doivent être effectuées par toute société nouvellement constituée à compter du 1er août 2017, toute société existante devra s’y conformer avant le 1er avril 2018.
Le greffe du tribunal de commerce vérifie alors que les informations reçues sont complètes et conformes aux dispositions législatives et réglementaires, qu’elles correspondent aux pièces justificatives et sont compatibles, en cas de modification, avec l’état du dossier[8].
Il les transmet par ailleurs à l’INPI et les dépose au registre national du commerce et des sociétés[9].
L’accès aux informations déclarées
Contrairement à l’extrait K-bis qui est publiquement consultable par toute personne, les informations déposées au registre des bénéficiaires effectifs ne peuvent être communiquées qu’à certaines autorités déterminées de manière limitative.
Ainsi, essentiellement le Trésor Public, les services de douane ou encore l’Autorité des marchés financiers[10] peuvent demander communication des informations déposées auprès du registre des bénéficiaires effectifs.
Des sanctions lourdes
D’office ou sur requête du procureur de la République ou de toute personne justifiant y avoir intérêt, le président du tribunal peut enjoindre sous astreinte la société ou l’entité juridique de déposer les informations requises. Dans les mêmes conditions, le président du tribunal de commerce peut nommer un mandataire chargé d’accomplir ces formalités. Lorsque la société concernée dispose d’un commissaire aux comptes, le mandataire peut également s’adresser à ce dernier pour obtenir communication de tous renseignements[11].
A noter que si la requête vaut conclusions et le rejet de celle-ci est susceptible de recours, l’injonction du président du tribunal est une ordonnance insusceptible de recours[12].
Les sanctions en cas de non-respect des nouvelles obligations légales sont nombreuses et notamment d’ordre pénal :
L’absence de dépôt des informations relatives au bénéficiaire effectif ou l’inexactitude voire le caractère incomplet des informations déposées est punie de six mois d’emprisonnement et de 37.500€ d’amende (7.500€ pour les personnes physiques). Les personnes physiques déclarées coupables de l’infraction encourent également les peines d’interdiction de gérer ou de privation partielle des droits civils et civiques[13].
Les personnes morales encourent en outre des peines complémentaires : dissolution, placement sous surveillance judiciaire, exclusion temporaire ou définitive des marchés publics, interdiction temporaire ou définitive de procéder à une offre au public des titres financiers ou de faire admettre ses titres aux négociations sur un marché réglementé, affichage de la décision prononcée ou sa diffusion par la presse écrite ou par tout moyen de communication au public par voie électronique.
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L’obligation étant entrée en vigueur très récemment, il existe encore un manque de recul quant à l’application effective des sanctions précitées. En tout état de cause, les greffes de différents tribunaux de commerce ont d’ores et déjà adressé des lettres de relances pour obtenir les informations relatives aux bénéficiaires effectifs.
Il est certain qu’il faudra désormais veiller à intégrer ces nouvelles obligations déclaratives dans le processus de constitution de toute société immobilière et anticiper la mise en conformité des sociétés existantes avant le 1er avril 2018.
En cas d’absence de déclaration relative aux bénéficiaires effectifs par les sociétés souhaitant conserver la confidentialité quant à leur(s) bénéficiaire(s) effectif(s), il conviendra d’apprécier les risques liés aux éventuelles sanctions et éventuellement les garanties à consentir en cas de vente des parts ou d’actions pour le couvrir.
[1] Article 5 du décret 2017-1094 du 12 juin 2017
[2] Article L.561-46 Code Monétaire et Financier (« CMF »)
[3] Article 11 V du décret 2016-1683 du 5 décembre 2016
[4] Article 66 de la directive 2015/849/UE du 20 mai 2015
[5] Article 3 6) a) de la directive 2015/849/UE du 20 mai 2015
[6] Article R. 561-55 CMF
[7] Article L. 561-46 alinéa 2 CMF et article R. 561-56 2° CMF
[8] Article L. 561-47 alinéa 1 CMF
[9] Article L. 561-47 alinéas 2 et 3 CMF
[10] Article L. 561-46 alinéa 3 et articles R. 561-57 et suivants CMF
[11] Article L. 561-48 CMF
[12] Articles R. 561-60 et suivants CMF
[13] Article 131-26 et 131-27 Code pénal
Initialement publié par Immoweek, cet article est également consultable sur le site immoweek.fr