Construction 21 | Quels contrats pour la construction industrialisée ?
Construction 21 – Dossier Hors-site | Quels contrats pour la construction industrialisée ?
Par Stephan Lesage-Mathieu, avocat counsel, et Loïc Malot-Schönfelder, avocat.
La construction industrialisée ou « hors site » apporte une réponse aux mutations en cours dans le secteur du bâtiment, confronté à la pénurie de main d’œuvre sur les chantiers, aux besoins urgents du marché en logements et aux nouveaux enjeux énergétiques et sanitaires. Pour répondre aux attentes, le hors site tend à s’affranchir des schémas contractuels traditionnels*.
Tandis que la pandémie du Covid-19 en Europe fait pression sur les prix des appels d’offre, la crise actuelle pourrait inciter au recours aux méthodes modernes de construction : celles-ci sont plus rapides, fiables et résilientes du fait du transfert de la majeure partie de l’acte de construire dans l’environnement sécurisé de l’usine, où sont réalisés les éléments de l’ouvrage qui seront simplement assemblés sur site**.
Plutôt que le schéma classique où le maître d’ouvrage fait réaliser séparément les missions de conception et d’exécution du bâtiment, la construction industrialisée devrait s’appuyer principalement sur deux nouveaux contrats concourant à la conception-réalisation (I) et résolument tournés vers les résultats (II).
I – Deux contrats concourant à la conception-réalisation pour amorcer le changement
Dans une approche hors site, on va tenter d’une part d’impliquer les différents réalisateurs du bâtiment dès le stade de la conception (A) et d’autre part d’organiser la préfabrication d’éléments conçus pour être assemblés rapidement sur site et réduire les risques et les nuisances de chantier (B).
A – La convention de groupement momentané d’entreprises
Depuis la loi relative à la transition énergétique du 17 août 2015***, les pouvoirs publics semblent décidés à encourager le modèle du groupement momentané d’entreprises (« GME »), notamment pour favoriser l’accès à l’achat des TPE et PME****.
En GME, les constructeurs sont tous en lien contractuel entre eux, mais au même niveau et non en chaîne comme dans la sous-traitance. Ils sont également tous parties au contrat conclu avec le maître d’ouvrage.
Un intérêt essentiel d’une telle organisation est d’impliquer dès la phase de conception les acteurs aux diverses spécialités nécessaires à la réalisation d’un projet de construction industrialisée, que peu d’acteurs pourront réunir seuls.
L’optimisation financière étant clé pour le développement de ce secteur émergent, le GME va permettre une mutualisation des coûts et la suppression d’un niveau de marge.
Fiscalement, le GME est transparent et chaque membre est imposé pour sa part de bénéfices selon le régime qui lui est propre.
Au contraire d’une société de projet ou d’un groupement d’intérêts économiques, la création d’un GME, forme purement contractuelle et dénuée de personnalité morale, est peu contraignante et ne nécessite aucune formalité déclarative.
Différents régimes de responsabilités des membres envers le maître d’ouvrage peuvent être prévus : responsabilité conjointe, responsabilité solidaire du mandataire ou de tous les membres voire solidarité aménagée. La solidarité n’existe que vers l’extérieur : entre les membres, la charge finale pèsera sur le responsable ou pourra être répartie selon ce que souhaitent prévoir les parties.
B- La conception-réalisation de fournitures
En construction hors site la création de valeur se réalise avant même une phase de chantier réduite et désormais pré-paramétrée. La logique de projet unique cède sa place à celle de fourniture d’un produit, réplicable et modulable, qui sera mis au service des objectifs d’économie circulaire de la filière, de l’écoconception à la déconstruction intelligente.
Sur le plan contractuel, ces mutations se traduisent par la prépondérance dans le marché conclu avec le maître d’ouvrage d’une logique de fourniture par rapport à celle de travaux ou de louage d’ouvrage. En pratique, on constate d’ailleurs de plus en plus dans les marchés publics de construction industrialisée le panachage de clauses issues de différents CCAG, faute d’existence de modèles intégrant les principes de la conception-réalisation.
Pour encadrer contractuellement ces marchés, un changement de paradigme est inéluctable : entreprises comme maîtres d’ouvrage ont intérêt à encadrer le suivi du processus industriel en usine, la livraison des éléments préfabriqués, le paiement de ces éléments – qui peut être envisagé lors de leur fabrication, livraison ou assemblage – le transfert de leur propriété sur ces éléments.
Une telle approche implique de traiter les questions de titularité et de protection des droits de propriété intellectuelle sur les solutions innovantes. Un autre sujet incontournable de ces nouveaux marchés à l’heure des bâtiments connectés est l’exploitation de la data et sa conformité aux règles de protection des données à caractère personnel des habitants.
II – Des contrats soumis à une obligation de résultats
Les affres des malfaçons, risques contentieux et dépassements de budget dans les projets de constructions incitent aujourd’hui le mouvement hors site à emprunter aux méthodes lean les objectifs d’optimisation des coûts, des délais et de la qualité zéro défaut, au bénéfice de l’utilisateur final. Sur le plan contractuel, cela implique de mobiliser des contrats mettant l’accent sur les résultats et les performances (A), selon une approche en coût global qui implique de bien coordonner ces contrats (B).
A – Une performance mesurable
Aujourd’hui, les résultats visés sont en particulier la qualité et l’amélioration du bilan environnemental du bâtiment, sous l’impulsion des pouvoirs publics, comme l’illustrent certaines avancées législatives récentes. A titre d’exemple, la réglementation environnementale des bâtiments neufs RE 2020 de la loi ELAN***** fixe de nouvelles exigences sur des critères de performance énergétique d’énergie positive (E+) et de bas carbone (C-).
Cette focalisation sur les performances relègue au second rang celle sur les normes : la loi dite ESSOC****** permet ainsi depuis 2019 aux maîtres d’ouvrages de déroger à certaines normes de construction à condition d’atteindre un résultat équivalent à celui découlant de l’application des règles auxquelles il est dérogé.
En marché public, un instrument taillé sur mesure pour l’obtention de résultats est le marché global de performance, lequel permet d’associer la conception-réalisation, la maintenance et l’exploitation en un seul marché.
En marché privé également, des formes hybrides de contrats intègrent divers mécanismes garantissant certains résultats au client : commissionnement, procès-verbal de livraison conforme, garanties de puissance, engagement d’approvisionnement longue durée en pièces détachées par exemple.
En parallèle des performances du bâtiment, sa fin de vie et le temps long entrent également dans le champ du contrat. Tandis qu’une loi dite antigaspi******* vient créer une filière de responsabilité élargie du producteur dans le bâtiment, qui devrait voir le jour dès le 1er janvier 2022, on attend aujourd’hui des entreprises qu’elles proposent des solutions concernant l’obsolescence du bâtiment et la seconde vie de matériaux de construction : reprise, remplacement, réutilisation etc.
L’immeuble, objet du contrat, devient ainsi tout à la fois un actif maintenu à niveau (BIM, bâtiments connectés bientôt par la 5G), un ensemble démontable et déplaçable et un gisement de matériaux recyclés ou recyclables.
B – L’objectif d’une articulation fluide entre les deux contrats
Si ces évolutions sont aujourd’hui facilitées par le développement des outils numériques, ces outils doivent toujours être pilotés. Le travail humain demeure au centre des opérations.********
Les standards industriels vont venir s’adapter sur les attentes spécifiques d’un maître d’ouvrage. Quand bien même le hors site mise sur des produits préfabriqués, chaque phase chantier n’en demeure pas moins un projet spécifique avec ses contraintes liées à la topographie, à l’urbanisme, au climat.
Les concepteurs-réalisateurs et leurs clients vont donc dialoguer et coconstruire un projet durable autour de nouvelles garanties, comme celles que doit le vendeur, ou « fabricant d’EPERS », au-delà de la garantie de constructeur.
En matière d’achat public, des procédures de négociations tel que le dialogue compétitif se prêtent bien au nécessaire ajustement entre besoin défini et solutions des candidats. Pour faire se rencontrer les approches produit et projet, il faut que les contrats soient en phase, réglés sur les mêmes moments clés juridiques. Si l’on admet que l’étape charnière se situe à la sortie d’usine, avec des éléments devant pouvoir être achetés à leur juste valeur, on pourrait dessiner un modèle intitulé « CORELIAS », autour de la COnception, la REalisation, la LIvraison et l’ASsemblage.
L’avantage particulier de la convention de GME dans ce schéma est qu’elle pourra être adaptée à chaque marché, même en cours de projet, contrairement à des statuts de société. Dans la mesure où les techniques de construction industrialisées n’ont de sens qu’en présence d’une réplication des projets à grande échelle, la question de la pérennisation du groupement motivera éventuellement l’intégration en une société, en vue notamment de pouvoir attirer des investisseurs.
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*Loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée, dite loi MOP
**“The coronavirus impact: a new paradigm”, Construction Market Overview, April 2020 (Cast); “The next normal in construction”, McKinsey report, June 2020; “Industrialised Construction: The Rebound from COVID-19”, Industry White Paper by Sumit Oberoi and Alain Waha, Cogital 2020
***Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
****Publication en 2019 par la direction des affaires juridiques du ministère de l’économie d’un guide pratique « faciliter l’accès des TPE/PME à la commande publique ».
*****Loi « Evolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique » (ELAN), entrée en vigueur de la RE2020 prévue à partir du 1er janvier 2021.
****** « Permis d’expérimenter » mis en place par la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance.
*******Loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.
********Prof. Dr. Glock, Christian, Interview „Digitalisierung als Schlüssel zum effizienten Bauen“, bba-online.de, 19.02.2020.