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Publication 27 avril 2020

Soulte en espèces et abus de droit : l’abus de droit peut- il être abusif ?

Soulte en espèces et abus de droit : l’abus de droit peut- il être abusif ?

Soucieux d’assurer simultanément la pérennité de l’entreprise C qu’il avait fondée et la transmission ordonnée de son patrimoine à ses proches, M. R mit en exécution un schéma qui ramené à l’essentiel peut être résumé ainsi [i].

-Création fin 2010 de deux sociétés civiles immobilières F et D et soumises à l’impôt sur les sociétés, l’une avec les 5 filles issues de son premier mariage, l’autre avec sa seconde épouse.

-Apport à ces SCI des titres que M.R, ses filles et son épouse détenaient dans la société C.

-Rémunération de ces apports par échange avec les parts de SCI, complétée par une soulte en espèces qui pour chacune des deux SCI équivalait à moins de 10%  de la valeur nominale des titres reçus.

-Pour régler la soulte, les SCI ont contracté un emprunt bancaire, remboursé en moins de 2 mois grâce aux dividendes reçus de la société C devenue leur filiale.

-Préalablement, M.R avait consenti des donations de la nue-propriété de parts de SCI à ses filles et petits-enfants, ce qui eut pour effet de « purger » la plus-value d’échange dans la mesure correspondante.

La plus-value issue de cet échange bénéficiait alors de plein droit du sursis d’imposition tel que prévu par l’article 150-0 B du code général des impôts (CGI). Plus précisément était alors applicable la rédaction du dernier alinéa de cet article 150-0 B, issue de l’article 94 de la loi n° 1999-1172 du 30 décembre 1999 lequel disposait que « « Les échanges avec soulte demeurent soumis aux dispositions de l’article 150-0 A lorsque le montant de la soulte reçue par le contribuable excède 10 % de la valeur nominale des titres reçus. »

En conséquence, la fraction de la plus-value d’échange correspondant à la soulte ne fut pas imposée au stade de l’échange.

Un contrôle fiscal engagé en 2013 déboucha sur une rectification d’impôt sur le revenu des intéressés fondée sur l’article L 64 du livre des procédures fiscales (LPF). Saisi par ces derniers, le comité de l’abus de droit fiscal (CADF) émit l’avis [ii]que la stipulation d’une soulte en espèces, même inférieure à 10 % de la valeur nominale des titres reçus, était en l’espèce constitutive d’un abus de droit tant dans le cas de M. R que dans celui de trois de ses filles

les avis du comité de l’abus de droit sur la situation jugée

Les différentes affaires furent alors soumises au Tribunal administratif de Montreuil qui le 16 juillet 2019 [iii] confirma l’application de l’article L 64 dans le cas de M. R, s’agissant des seuls titres non démembrés, mais l’écarta dans le cas de ses trois filles.

Ces jugements ont fait l’objet d’analyses et de commentaires de tonalité variable : soulagement pour les uns, l’abus de droit ayant été écarté dans trois des 4 cas soumis au Tribunal [iv] ; réserve et perplexité pour d’autres [v] ; franche critique, enfin[vi].

Tribunal administratif de Montreuil
16 juillet 2019 N°1811897 M et MME Daniel ..

Les trois autres jugements concernant les filles

TA Montreuil 16 juillet 2019 N°1811931 Mme Frederique

TA Montreuil 16 juillet 2019 N°1706787 SCI et RAS

TA Montreuil 16 juillet 2019 N°1812220 Mme Danielle

 

Les réflexions qui suivent ont un caractère essentiellement doctrinal car la loi n° 2016-1918 du 30 décembre 2016 portant loi de finances rectificative pour 2016 a rétabli la règle de l’imposition l’année de l’échange de la fraction de plus-value inhérente à la soulte, règle supprimée en 1999 par la loi n°99-1172 du 30 décembre 1999 portant loi de finances pour 2000, laquelle avait substitué le régime du sursis à celui du report pour les plus-values d’échange relevant de l’article 150-0 B du CGI.

I-LES RAISONS DE L UTILISATION DE L ABUS DE DROIT. 2

II – DES SOLUTIONS CONTRADICTOIRES ?. 4

III –LA SOLUTION DU TA DE MONTREUI  SUIT ELLE  LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL D ETAT  4

IV –MES CRITIQUES SUR LE JUGEMENT CONCERNANT MR R. 6

A UN SIMPLE PAIEMENT PREVU PAR LA LOI PEUT IL ETRE ABUSIF. 6

B LE TEST « PHARMACIE DES CHALLONGES. 8

V.LA SOULTE AVAIT ELLE UN BUT EXCLUSIVEMENT FISCAL. 9

S’agissant du motif, 9

2- Les objectifs des auteurs du texte. 10

EN CONCLUSION.. 12

I-LES RAISONS DE L’UTILISATION DE L’ ABUS DE DROIT

Il convient de commencer par le rappel des motifs pour lesquels le CADF et les juges de Montreuil ont admis l’application de l’article L 64 au choix fait par M. X et ses proches de prévoir dans le cadre de l’échange de titres une soulte en espèces respectant la limite fixée par la loi.

Dans son rapport pour 2016, le Comité résume ainsi son avis :

« Enfin, le Comité a eu à examiner quatre affaires connexes portant sur des opérations d’apport de titres avec soultes considérées comme artificielles et dissimulant en réalité une appréhension des liquidités de la société en franchise d’impôt. Le Comité a estimé que, si le législateur a admis que l’opération d’échange de titres avec soulte bénéficie intégralement, y compris pour la soulte, du sursis d’imposition dès lors que le montant de la soulte reçue par le contribuable n’excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus, l’octroi d’une soulte devait s’inscrire dans le respect du but qu’il a ainsi entendu poursuivre. Or, le Comité a considéré que ce but n’est pas respecté si l’octroi de la soulte ne s’inscrit pas dans le cadre de l’opération de restructuration d’entreprise mais est en réalité uniquement motivé par la volonté de l’apporteur des titres d’appréhender en franchise immédiate d’impôt des liquidités détenues par la société dont les titres sont apportés et faisant ainsi l’objet d’un

désinvestissement, faute qu’il soit justifié que la société bénéficiaire de l’apport avait un intérêt économique au versement de cette soulte, alors que, lorsque cette soulte est ainsi financée, elle prive cette société de la possibilité de disposer de ressources nécessairement prises en compte lors de la détermination de la valeur des titres apportés. »

De leur côté les premiers juges après s’être référés aux articles 150-0 A et 150-0-B du CGI décident que

« 11. Il résulte de ce qui précède que la soulte, au sens de l’article 150-B du code général des impôts, ne répond pas à un objectif d’ajustement de parité d’échange ainsi que le soutient l’administration dans ses mémoires en défense mais doit être regardée comme une mesure d’appréhension de liquidités que les parties peuvent librement décider dans la limite fixée par la loi pour rendre acceptable l’adhésion des apporteurs à une opération de restructuration d’entreprises nécessaire à leur développement. Ce but n’est pas respecté si l’octroi de la soulte n’est manifestement pas nécessaire à l’opération de restructuration d’entreprise mais est en réalité uniquement motivé par la volonté de l’apporteur des titres d’appréhender en franchise immédiate d’impôt des liquidités détenues soit par la société dont les titres sont apportés, soit par la société bénéficiaire de l’apport. Dans ce cas, l’administration est fondée, sur le fondement de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, à considérer que cette soulte, alors même qu’elle s’inscrit dans une opération de restructuration d’entreprise nécessaire à son développement, constitue un désinvestissement de l’entreprise bénéficiaire des apports. »

Appliquant ces principes au cas de M.R, le Tribunal décide, dans un premier temps que : « 12 . Il n’est pas contesté que l’apport de titres de la société C à la société F par une partie des membres de la famille R constitue une opération de restructuration dont l’objectif est d’assurer la pérennité et le développement du groupe R par la mise en place d’une structure actionnariale familiale contraignante et pérenne. Il résulte de l’instruction qu’en apportant leurs titres à la société F, les actionnaires de la société C perdent aux termes des statuts de la société civile leur liberté de négociation des titres qu’ils possédaient jusqu’alors, en soumettant toute opération de cession de titres à une procédure interne à la société civile d’agrément ou de substitution, afin de pérenniser et développer le groupe familial par la détention majoritaire et stable que la société F y détient. Ces nouvelles contraintes, qui portent sur la liquidité des parts désormais détenues dans la société F, ont nécessairement un impact négatif sur la valorisation des titres reçus en échange des titres apportés susceptible de freiner l’adhésion des actionnaires de C à la nouvelle organisation. Par suite, la soulte versée en rémunération partielle des titres apportés, financée par un prêt gagé sur le versement de dividende à venir de la société C, doit être regardée comme une mesure incitative à l’adhésion des anciens actionnaires de la société C à la nouvelle organisation du groupe que les parties prenantes ont librement fixée à 9,08 % de la valeur nominale des titres reçus et non comme une opération visant exclusivement à percevoir des liquidités en sursis d’imposition. » .

Mais dans un second temps, le Tribunal juge que :

« 13. S’agissant toutefois du cas particulier des titres détenus en pleine propriété par M. R dans la société C apportés à la société F, il résulte des propres écritures des requérants que l’opération de restructuration a été réalisée par la seule décision de M. R, lequel « a imposé sa propre volonté aux membres de sa famille, qui n’ont fait que respecter l’organisation souhaitée par un seul et même contribuable », en sorte que la soulte qu’il s’est versé sur les actions non démembrées n’était manifestement pas nécessaire à sa propre adhésion à l’opération de restructuration. Il ne résulte pas de l’instruction que la relution dans la société F qui aurait résulté de l’absence de versement de soultes sur les titres C apportés et détenus en pleine propriété serait de nature à remettre en cause l’économie générale de l’opération, dès lors que M. R détenait déjà l’usufruit ou la pleine propriété de l’essentiel des titres C. Dès lors, eu égard à l’absence manifeste de nécessité d’octroi d’une soulte à ladite opération, l’administration est fondée à considérer que la soulte versée en sursis d’imposition en rémunération partielle des titres apportés par M. R en pleine propriété à la société F doit être regardée comme un versement visant exclusivement à appréhender des revenus en éludant l’impôt. »

II – Des solutions contradictoires ?

Comme il a été indiqué ci-dessus, le Tribunal a écarté l’application de l’abus de droit pour les trois filles de M. R estimant que la soulte versée en rémunération partielle des titres apportés devait être regardée comme « une mesure incitative à l’adhésion » à la nouvelle organisation du groupe, caractérisée par une structure actionnariale familiale « contraignante et pérenne ».

Pas besoin d’être grand clerc pour observer que cette motivation est en contradiction frontale avec ce qui a été jugé pour M. R lequel « a imposé sa propre volonté aux membres de sa famille, qui n’ont fait que respecter l’organisation souhaitée par un seul et même contribuable. » En bonne logique, le Tribunal aurait dû être conduit à juger d’une part que les trois filles avaient elles aussi commis, mais « à l’insu de leur plein gré » (et donc avec une pénalité réduite à 40%) un abus de droit dont leur père avait été jugé initiateur et principal bénéficiaire, d’autre part et s’agissant des titres démembrés, que la qualité d’usufruitier de M. R ne l’avait en rien empêché de dicter sa volonté à ses filles nues propriétaires. Toutefois, eu égard à la suite de cet article, il ne sera fait aucun reproche au Tribunal de sa mansuétude…

III –LA SOLUTION DU TA DE MONTREUIL  SUIT- ELLE  LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL D ETAT ?

Avant d’examiner les raisons pour lesquelles, à notre avis, l’article L 64 ne pouvait ni ne devait recevoir application en l’espèce, il faut vérifier que la solution retenue par le TA de Montreuil n’est en rien commandée par la jurisprudence du Conseil d’Etat, qu’elle soit relative à l’article 150-0 B du CGI ou non.

a) On rappelle qu’après avoir admis que pouvait relever de l’abus de droit une opération dans laquelle le contribuable bénéficiait, sur option, du report d’imposition d’une plus-value d’apport [vii], le Conseil d’Etat a étendu la solution aux plus-values bénéficiant du sursis d’imposition[viii] fût-il de plein droit et l’a fermement confirmée ultérieurement [ix], s’agissant de plus-values relevant de l’article 150-0 B, y compris dans sa rédaction issue de la loi de 1999 que le TA de Montreuil avait à appliquer. Il a été ainsi jugé que « le bénéfice du sursis d’imposition d’une plus-value réalisée par un contribuable lors de l’apport de titres à une société qu’il contrôle et qui a été suivi de leur cession par cette société est constitutif d’un abus de droit s’il s’agit d’un montage ayant pour seule finalité de permettre au contribuable, en interposant une société, de disposer effectivement des liquidités obtenues lors de la cession de ces titres tout en restant détenteur des titres de la société reçus en échange lors de l’apport. »

Il saute aux yeux que les faits auxquels a été appliqué l’abus de droit n’ont qu’un rapport lointain avec le cas jugé par le TA de Montreuil dans lequel n’intervient aucune cession des titres apportés à l’échange par la société bénéficiaire des apports, bien au contraire puisque l’objet de l’opération était de consolider le contrôle de la société opérationnelle par l’un des deux groupes familiaux. On ne saurait donc tirer aucun argument en faveur de l’application en l’espèce de l’abus de droit de la décision par laquelle le Conseil d’Etat a refusé de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 150- 0 B dans sa rédaction issue de la loi de finances pour 2000.[x]

Pour les mêmes raisons , la récente décision du Conseil d’Etat, M et Mme B,  du 12 février 2020,n° 421444, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre [xi], ne peut être invoquée pour justifier le jugement du TA  de Montreuil : ce qui a été remis en cause est un ensemble d’opérations comprenant un apport par des personnes physiques d’actions d’une société CDA  à une société civile contrôlée par elles, sous le régime du sursis de l’article 150-0 B  (rédaction applicable en 2006), suivi d’un rachat par la société CDA de ses propres actions auprès de la société civile à la valeur d’apport.

b) plus proche du cas soumis au TA de Montreuil est la décision Bourgeois rendue par le Conseil d’Etat à propos :

– d’une part de commentaires administratifs publiés en mars 2016 au BoFIP, prévoyant la possible application de l’abus de droit à des opérations d’échange avec soulte inférieure à 10% de la valeur nominale des titres reçus et placées sous le régime du report de l’article 150-0 B ter « s’il s’avère que cette opération ne présente pas d’intérêt économique pour la société bénéficiaire de l’apport, et est uniquement motivée par la volonté de l’apporteur d’appréhender une somme d’argent en franchise immédiate d’impôt et d’échapper ainsi notamment à l’imposition de distributions du fait de ce désinvestissement. »

– d’autre part, de la « carte des pratiques et montages abusifs »[xii] publié en mars 2016 sur le portail du ministère de l’économie et des finances, plus précisément de la fiche n° 20. Cette dernière vise les opérations d’échange d’actions  bénéficiant , encore à l’époque, du sursis d’imposition complet de la plus-value, y compris donc pour sa fraction correspondant à une soulte de moins de 10% de la valeur des titres apportés et précise enfin que « lorsque la stipulation d’une soulte est uniquement motivée par la volonté de l’apporteur d’appréhender des dividendes en franchise d’impôt, la procédure de l’abus de droit fiscal, prévue à l’article L. 64 du livre des procédures fiscales est mise en œuvre. »

La question était de savoir, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, si l’administration avait ainsi excédé sa compétence en énonçant des règles relevant de la loi.

Sur le premier point, l’arrêt répond par la négative, motif pris de l’absence de mention explicite donnant à penser que le législateur entendait exclure l’application de l’article L 64 aux opérations relevant de l’article 150-0 B ter. Cette réponse est certainement transposable aux opérations relevant de l’article 150-0 B. Mais l’absence d’interdiction (ou plus exactement la présomption que le législateur n’a pas voulu exclure de l’abus de droit les opérations relevant de ce dernier article) n’implique en rien la possibilité juridique de l’application de l’abus de droit à des situations précises.

Sur le second point, l’arrêt énonce judicieusement que « La fiche n° 20 en litige se borne à décrire en termes très généraux les principes d’une pratique d’apport de titres avec soulte ayant pour effet de permettre à l’apporteur d’appréhender en franchise d’impôt des sommes correspondant au montant des dividendes qui auraient été taxés entre ses mains s’ils lui avaient été directement distribués, sans préciser à quelles conditions une telle pratique peut être regardée comme constitutive d’un abus de droit. »

Cet arrêt ne préjuge donc pas la solution à donner au cas jugé par le TA de Montreuil.

c) enfin ne serait d’aucune utilité en l’espèce la jurisprudence selon laquelle le caractère artificiel ou purement artificiel d’un montage suffit, sinon à caractériser l’abus de droit, tout au moins à réputer remplie la condition relative aux objectifs des auteurs du texte, en vertu de la présomption selon laquelle le législateur n’a pu avoir comme but de favoriser de tels montages[xiii]

IV –MES CRITIQUES SUR LE JUGEMENT CONCERNANT M.  R

Il est temps d’en venir à la critique interne du jugement concernant M. R .

A- UN SIMPLE PAIEMENT PRÉVU PAR LA LOI PEUT- IL ETRE ABUSIF ?

– Une première question est celle de savoir s’il est possible, pour l’application de l’article L 64, d’isoler au sein d’un ensemble complexe d’opérations le simple mode de paiement, au surplus très partiel, de l’apport qu’a constitué la soulte.

a) Rappelons que la matière est régie depuis 1990 par le droit de l’Union européenne et plus précisément en 2010 , lors des opérations litigieuses, par la directive 2009/133/CE du Conseil du 19 octobre 2009 concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d’actifs et échanges d’actions et que selon une jurisprudence constante la loi nationale doit être interprétée en conformité avec la directive qu’elle transpose Dans son article 2, la directive énonce les différentes opérations qu’elle entend couvrir et mentionne la possibilité d’une soulte en espèces pour les fusions, les scissions, y compris partielles et les échanges : l’on voit bien que la soulte en espèces n’est qu’une modalité particulière de règlement attachée par les parties à une opération du fusion ou autre dont elle fait partie intégrante..

Et s’il est vrai que l’article 8 de la directive dispose que «9. Les paragraphes 1, 2 et 3 n’empêchent pas un État membre de prendre en compte, pour la taxation des associés, la soulte en espèces qui leur est éventuellement attribuée à l’occasion de la fusion, de la scission, de la scission partielle ou de l’échange d’actions . » , cette disposition ne les oblige pas à le faire, ce qui était précisément le cas de la législation française entre 1999 et 2016.

En outre si l’article 15 de la directive prévoit en son 1 que les Etats membres peuvent refuser le bénéfice de la directive  à une opération qui «  … a) a comme objectif principal ou comme un de ses objectifs principaux la fraude ou l’évasion fiscales; le fait que l’opération n’est pas effectuée pour des motifs économiques valables, tels que la restructuration ou la rationalisation des activités des sociétés participant à l’opération, peut constituer une présomption que cette opération a comme objectif principal ou comme un de ses objectifs principaux la fraude ou l’évasion fiscales. », c’est à la condition qu’il s’agisse d’une « opération »   et dans ce contexte, « l’opération » c’est une fusion, une scission ou un échange, chacune de ces opérations étant envisagée comme constituant un ensemble dont une soulte en espèce , lorsqu’elle est prévue, n’est qu’une partie intégrante.

Cette lecture est conforme avec la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), plus précisément avec l’arrêt Kofoed[xiv],qui traite d’une soulte en espèces comprise dans une opération d’échange d’actions placée sous le régime d’exonération de plus-value instituée par la directive 90/434/CEE du 23 juillet 1990 alors applicable. Rappelons-en brièvement les données. Deux personnes physiques détenant 100% du capital d’une société danoise D créent le 26 octobre 1993une société de droit irlandais I dont ils augmentent le capital dans un second temps. Le 29 octobre ils échangent leurs actions de la société D contre les actions nouvelles de la société I, laquelle devient donc la société mère de D. Le 1er novembre, la société I encaisse des dividendes de la société D. Le 3 novembre, une assemblée générale de la société I décide de distribuer des dividendes à ses deux actionnaires.

L’administration danoise a considéré que la distribution par la société I de dividendes à ses actionnaires faisait partie de l’opération d’échange, en sorte que le seuil de 10% requis au titre des soultes en espèces par la directive pour que l’opération d’échange puisse bénéficier du régime d’exonération de plus-value était dépassé. La CJCE devait répondre à la question de savoir si ce dividende devait ou non être inclus dans le calcul de la soulte en espèces. La Cour répond que « ne saurait être qualifiée de « soulte en espèces », au sens de l’article 2, sous d), de la directive 90/434, une prestation pécuniaire attribuée par une société acquérante aux associés de la société acquise du simple fait d’un certain lien temporel ou autre avec l’opération d’acquisition, ou d’une éventuelle motivation frauduleuse. Il est, au contraire, nécessaire de vérifier dans chaque cas d’espèce, eu égard à l’ensemble des circonstances, si la prestation en question revêt le caractère d’une contrepartie contraignante à l’opération d’acquisition. »

Dans le cas soumis aux juges de Montreuil, où il s’agit, non pas du versement ultérieur d’un dividende aux actionnaires d’une société bénéficiaire d’un apport, mais d’une soulte payée lors de l’apport et de l’échange aux apporteurs par la société bénéficiaire de l’apport, il est clair que la soulte est au cœur de l’échange.

Reste à savoir ce que la Cour voulait dire lorsqu’elle invite la juridiction nationale à vérifier si « la prestation en question revêt le caractère d’une contrepartie contraignante à l’opération d’acquisition. »

S’agit-il d’exiger la preuve que l’opération d’échange eût été impossible, matériellement ou juridiquement, sans la soulte comme semblent l’exiger le CADF puis le TA de Montreuil, au risque d’une immixtion illimitée dans l’exercice de leur liberté contractuelle par les parties à l’opération d’échange ? Non, il s’agit simplement, selon les termes mêmes de la Cour, de vérifier que la soulte fait partie intégrante de l’échange et qu’elle en est indissociable. Cette correspondance entre les notions de « partie intégrante » et de « lien contraignant » entre deux objets ou deux opérations est en effet celle expressément retenue par la Cour lorsqu’elle est saisie du point de savoir si une contribution, une taxe ou une imposition finançant une mesure d’aide d’Etat illégale fait partie intégrante de l’aide, ce qui suppose qu’existe entre elles un lien d’affectation contraignant [xv]

b) Enfin et sur le plan de la simple logique, on peine à concevoir ce que pourrait être une « opération » qui n’aurait d’autre consistance qu’une soulte en espèces.

En résumé, ni la directive relative aux fusions et opérations assimilées, ni la simple logique ne conduisent à admettre aisément la divisibilité du mode de paiement retenu dans le cadre d’une opération d’échange.

B -LE TEST « PHARMACIE DES CHALONGES »

– Une deuxième question concerne la comparaison des charges fiscales avec ou sans l’opération soupçonnée d’abus de droit (le test « Pharmacie des Chalonges »)

Admettons pour la beauté du raisonnement qu’il soit possible d’isoler une soulte en espèces dans une opération d’échange de titres pour les besoins de l’application de l’article L 64 du LPF.

On oublie parfois que cette application exige que soient réunies non pas seulement deux, mais trois conditions.

De ce que l’article L64 définit le but exclusivement fiscal comme la volonté « d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, s’il  ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles », la jurisprudence du Conseil d’Etat a justement déduit qu’il ne peut y avoir d’abus de droit, même en cas d’actes à motif exclusivement fiscal et contraires aux objectifs des auteurs du texte fiscal, lorsqu’à l’issue de ces actes , la charge fiscale de l’auteur des actes n’est pas modifiée [xvi] . Il s’agit pour ainsi dire du critère objectif ou matériel de l’abus de droit.

En l’espèce, rappelons que ni l’administration au stade du contrôle, ni le CADF, ni le TA de Montreuil n’ont remis en cause sur le fondement de l’article L 64 l’ensemble de l’opération ayant donné lieu à l’échange de titres litigieux tant il était patent que le but du fondateur de la société CFPR était d’assurer la pérennité de l’entreprise et la transmission ordonnée de son patrimoine à ses proches.

Dès lors que seule la stipulation d’une soulte en espèces est en cause, le test auquel conduit la jurisprudence qui consiste à vérifier ce qui se serait produit « normalement » ne peut porter que sur un échange sans soulte. Mais dans le régime en vigueur entre 1999 et 2016, que l’échange comporte une soulte en espèces ou non, la plus-value d’échange bénéficiait du sursis d’imposition de l’article 150-0 B. La charge fiscale liée à la plus-value d’échange était alors exactement la même et la présence d’une soulte, dans les limites fixées par la loi, ne diminuait en rien la charge fiscale.

Sur ce seul terrain, l’abus de droit n’était pas concevable en l’espèce et, soit dit en passant, ce test confirme, s’il en était besoin, le caractère tout à fait artificiel du procédé consistant à traiter la soulte indépendamment de l’opération dans lequel elle s’insère.

Il est vrai que si l’on prend en compte l’ensemble des opérations d’échange ou liées à l’échange, on voit que M. R et sa famille ont supporté une charge fiscale moins lourde que s’ils avaient bénéficié directement, du versement de dividendes par la société pour un montant égal à celui de la soulte. Bref, tout aurait été tellement mieux s’ils avaient choisi la voie la plus imposée ! Mais alors il fallait remettre en cause l’ensemble des opérations auxquelles ils se sont livrés, ce qui n’a pas été fait.

C– Mais toujours pour la beauté du raisonnement, on admettra un instant de raison que l’application de l’abus de droit en l’espèce satisfaisait aussi le test de la jurisprudence Pharmacie de Challonges.

LA SOULTE AVAIT- ELLE UN BUT EXCLUSIVEMENT FISCAL ?

Il reste alors à examiner si la stipulation d’une soulte en espèces répondait à un motif exclusivement fiscal et allait à l’encontre des objectifs des auteurs du texte

S’agissant du motif,

peut-on affirmer qu’il était exclusivement de ne pas payer d’impôt immédiatement sur la partie de la plus-value d’échange correspondant à la soulte ?

On ne doit pas perdre de vue qu’en matière de fusion et opérations assimilées, le droit fiscal se situe dans les pas du droit des sociétés qui est le droit « dominant ». Or les directives européennes intervenues en matière de restructuration d’entreprises sous forme de fusion ou autres ont toujours prévu que de telles opérations puissent comporter des soultes en espèces.

Il en va ainsi de la directive 2017/1132/UE du Parlement et du Conseil du 14 juin 2017 qui pour une très large part recodifie en les abrogeant totalement ou partiellement de nombreuses directives antérieures remontant plus les plus anciennes à 1982. L’éventualité d’une soulte en espèces inférieure à 10 % de la valeur nominale des titres reçus en échange est expressément envisagée lorsqu’il s’agit de définir ce qu’est une fusion ou une scission. La directive va même jusqu’à prévoir l’hypothèse de soulte supérieure à 10% de la valeur nominale des titres reçus en imposant dans ce cas que l’opération dans laquelle elle s’insère respecte la plupart des obligations attachées aux fusions stricto sensu.

On peut en déduire très simplement que la stipulation d’une soulte en espèces répond d’abord au souci des apporteurs à la fusion de ne pas se retrouver durablement détenteur de titres surtout lorsque la remise des nouveaux titres s’accompagne de contraintes telles que la nécessité de recueillir un agrément pour les céder et donc de disposer d’un volant de liquidités.

On observera que l’article 150-0 B n’imposait -et n’impose d’ailleurs toujours -aucune condition de remploi ou de réinvestissement des sommes perçues à titre de soulte, à la différence de ce qui était et demeure prévu pour les opérations relevant de l’article 150-0 B ter.

A ces considérations générales s’ajoute l’absence tant dans les avis du CADF que dans le jugement du TA de Montreuil relatif à M. R d’une vraie démonstration du but exclusivement fiscal conduisant à prévoir une soulte. De l’avis émis par le CADF, on croit comprendre que ce but se déduit de ce que le paiement de la soulte par les SCI a consisté en un désinvestissement sans qu’elles y aient eu intérêt économique. A supposer qu’un tel argument (qu’on pourrait entendre si l’administration avait reproché aux SCI d’avoir ainsi commis un acte anormal de gestion) soit pertinent pour tenter de démontrer le but exclusivement fiscal poursuivi par le contribuable, il est particulièrement spécieux, car les SCI ont été très rapidement remboursées par la remontée de dividendes de la société X. Quant au TA de Montreuil, il s’est borné à relever que le versement de la soulte n’était « manifestement pas nécessaire à l’opération de restructuration d’entreprise », se faisant ainsi juge sans aucun support législatif de la bonne manière de réaliser une telle opération.

A la lecture tant de l’avis du CADF que du jugement du TA de Montreuil, on est surtout frappé par l’approche « globalisante » de l’abus de droit au regard des critères définis par la loi alors que celle-ci exige la démonstration que chacun des deux critères « subjectifs » soit rempli distinctement de l’autre, et non pas seulement déduit des mêmes faits et arguments valant pour cet autre. En d’autres termes la démonstration pesant sur l’administration[xvii] de ce que des opérations étaient contraires aux objectifs des auteurs du texte fiscal ne vaut pas démonstration de ce que les responsables de ces opérations poursuivaient un but exclusivement fiscal  et vice-versa.

2- Les objectifs des auteurs du texte.

Mais il y a plus grave. C’est à ce stade qu’il s’agit d’apprécier si le versement d’une soulte en espèces comme ce fut le cas dans les affaires jugées par le TA de Montreuil était contraire aux objectifs poursuivis par les auteurs du texte fiscal, en l’occurrence l’article 150-0 B applicable en 2010. Cet exercice requiert modestie et patience, bref un travail de bénédictin et ce n’est qu’à ce prix qu’il est possible d’écrire dans un jugement « qu’il résulte des dispositions de l’article …, éclairées par les travaux préparatoires dont elles sont issues, que … ».

La rédaction du dernier alinéa est alors ( en 2010) la suivante  depuis l’adoption de l’article 94 de la loi n° 99- 1172 du 30 décembre  1999 portant loi de finances pour 2000  : « Les échanges avec soulte demeurent soumis aux dispositions de l’article 150-0 A lorsque le montant de la soulte reçue par le contribuable excède 10 % de la valeur nominale des titres reçus. » alors que dans le régime antérieur issu de l’article 24 de la loi n° 91-716 du 24 juillet 1991, les textes régissant ce type d’opérations, l’article 92 B et l’article 160 (qu’abroge la loi de finances pour 2000) disposaient en outre que « Toutefois, la partie de la plus-value correspondant à la soulte reçue est imposée immédiatement. »

Essayons de suivre le fil du processus législatif. En premier lieu, le texte de l’article 60 du projet de loi de finances déposé par le gouvernement, en tant que tel l’un des auteurs du texte, ne prévoit pas d’imposition immédiate de la soulte. Le gouvernement explique qu’il se propose ainsi :

« … de remplacer le régime de report d’imposition, qui constitue le régime de droit commun pour les particuliers qui réalisent des plus-values d’échange à l’occasion d’une opération d’offre publique d’échange, de fusion de sociétés ou d’apport de titres à une société soumise à l’impôt sur les sociétés, par un mécanisme du sursis d’imposition, dans lequel l’opération d’échange est considérée comme présentant un caractère intercalaire de sorte qu’elle n’est pas prise en compte pour l’établissement de l’impôt sur le revenu, ni même déclarée au titre de l’année d’échange. Ces mesures de simplification et de justice fiscale, applicables aux opérations réalisées à compter du 1er janvier 2000, permettraient en particulier d’alléger les obligations déclaratives des contribuables. »

Le rapporteur général de la Commission des Finances de l’Assemblée a éprouvé une réserve devant cette suppression de l’imposition immédiate de la soulte. Au IV de son exposé sur l’article 60 du projet, il est d’avis que « Cette soulte demeurerait taxée l’année de la réalisation de l’échange (texte proposé pour le nouvel article 150-0 B du code général des impôts par le I du présent article). »

Mais contrairement à ce qui est dit sur ce « texte proposé », aucun amendement en ce sens n’est présenté ni par un député ni par le gouvernement et le texte voté par l’Assemblée nationale en 1ère lecture ne fait pas réapparaître l’imposition immédiate de la soulte en espèces.

A aucun des stades ultérieurs de la discussion parlementaire, qu’il s’agisse de la 1ère lecture devant le Sénat ou des nouvelles lectures devant les deux chambres, ne sera évoquée la question de savoir s’il fallait ou non maintenir cette imposition immédiate.

Sans mésestimer l’opinion émise -isolément- par le rapporteur général du budget devant l’Assemblée nationale, force est de reconnaître qu’elle n’a pas entraîné l’adjonction d’une précision qui était pourtant absolument nécessaire, s’agissant de déterminer l’année d’imposition d’une plus-value. On peut donc raisonnablement en déduire que l’imposition immédiate de la soulte n’entrait pas dans les objectifs des auteurs (le gouvernement et le Parlement) du texte.

Quand bien même on estimerait que les objectifs étaient ambigus en ce qui concerne l’année d’imposition de la soulte et donc qu’ils ne se dégagent pas avec suffisamment de clarté des débats, il conviendrait alors de s’en tenir à la logique du texte.

Or elle est d’une grande simplicité : on substitue, pour les opérations entrant dans le champ d’application de l’article 150-0 B, au régime précédent du report d’imposition un régime de sursis dans lequel, comme il est dit dans l’exposé des motifs du projet de loi, « l’opération d’échange est considérée comme présentant un caractère intercalaire de sorte qu’elle n’est pas prise en compte pour l’établissement de l’impôt sur le revenu, ni même déclarée au titre de l’année d’échange. »

Et il convient à ce stade de rappeler que le législateur n’a attaché aucune condition particulière au versement d’une soulte comme il aurait pu le faire en exigeant un remploi ou un réinvestissement par le ou les bénéficiaires de la soulte et ainsi qu’il l’a d’ailleurs fait pour les opérations relevant de l’article 150-0 B ter. Pas davantage ne s’est-il intéressé aux finances de la société bénéficiaire de l’apport.

On observera au surplus que le Conseil constitutionnel, saisi du 3ème alinéa de l’article 150-0 B dans une rédaction identique à celle qui a été appliquée à M. R[xviii], a estimé que tant l’objectif de faciliter les restructurations d’entreprises que celui de lutter contre l’évasion fiscale, chacun  objectif d’intérêt général, étaient satisfaits par un dispositif de sursis d’imposition applicable également en présence d’ une soulte inférieure à 10% de la valeur nominale des titres reçus en échange.

Dans ces conditions, on voit mal comment en l’espèce le contribuable se serait livré à des actes contraires aux objectifs des auteurs du texte fiscal applicable en se bornant à prévoir lors de l’opération d’échange de titres une soulte respectant le plafond fixé par la loi.

Ce n’est qu’à titre tout à fait surabondant qu’on se reportera aux travaux préparatoires de l’article 32 de la loi de finances rectificative pour 2016 qui a rétabli dans le dernier alinéa de l’article 150-0 B l’imposition de la soulte l’année même de l’échange. S’il n’était pas surabondant, cet exercice ne serait d’ailleurs admissible que si et dans la mesure où ces débats permettent de mieux éclairer ce qu’était l’objectif du législateur de 1999.

Mais ces débats ne le permettent en aucun cas : en réalité, la modification en 2016 du dernier alinéa de l’article 150-0 B résulte d’une scène digne d’un théâtre d’ombres. Le texte du projet de loi déposé par le gouvernement devant l’Assemblée nationale ne comportait aucune modification de cette disposition. La question n’a pas été évoquée lors des débats devant cette chambre et en conséquence le texte voté en première lecture ne modifiait en rien la règle du sursis d’imposition pour la plus-value d’échange d’actions relevant de l’article 150-0 B, y compris le cas échéant la soulte en espèces.

Ce n’est qu’en première lecture devant le Sénat, lors de la séance du 15 décembre 2016 [xix]qu’a été présenté par des sénateurs du groupe socialiste et républicain un amendement de plus de 60 lignes modifiant 9 articles du CGI, essentiellement pour y introduire la nouvelle règle d’imposition de la soulte en espèces l’année de l’échange ou en tirer les conséquences, accessoirement pour allonger dans certains cas le délai de report d’imposition des seules plus-values relevant de l’article 150-0 B ter.

Le sénateur présentant l’amendement le fait en ces termes : « Cet amendement, assez technique, concerne les soultes. Dans certains cas, à la suite d’opérations d’échanges apparaît une différence de valeur, et celui qui a reçu telle ou telle part doit verser une compensation aux autres. Cet amendement vise à rallonger le report d’imposition de ces soultes qui doivent être versées» Prié de donner sur le champ son avis sur cet amendement, le rapporteur général de la commission des finances répond : « La commission n’a pas eu tout le temps nécessaire pour expertiser cet amendement extrêmement précis – je salue la technicité de notre collègue Richard Yung –, mais il nous semble aller dans le bon sens. Nous nous en remettons donc à la sagesse du Sénat» Le gouvernement donnant un avis favorable, l’amendement est voté, devient l’article 21 bis A du projet de loi de finances, puis finalement, sans aucune discussion ultérieure, l’article 32 de la loi de finances rectificative pour 2016. Le lecteur appréciera la clarté de ces « débats » …

La seule leçon qu’on puisse en tirer est que certains étaient fermement décidés à mettre fin au régime de non-imposition immédiate de la soulte en espèces. Mais cette lapalissade ne nous apprend rien de plus sur ce qu’étaient les objectifs des auteurs de l’article 94 de la loi de finances pour 2000, ce qui était le seul point à vérifier.

En conclusion

Il est de bonne politique que les textes répressifs soient interprétés strictement, encore plus aujourd’hui car l’application par l’administration de l’article L 64 du LPF conduit de plein droit à la saisine du Parquet. La nécessaire rigueur d’interprétation qui en découle implique en premier lieu que les opérations incriminées rentrent bien dans le champ d’application de cet article et seulement dans un second temps, s’il a été répondu par l’affirmative à cette question préalable, qu’il soit démontré que chacun des deux critères « subjectifs » de l’abus de droit est satisfait par des motifs propres. S’agissant du critère relatif aux objectifs des auteurs du texte, la démonstration exige une recherche méticuleuse et exhaustive dont ne peut pas tenir lieu une présomption que le juge s’autorise à édicter en lieu et place du législateur.

Enfin, gardons le sens de la mesure ? Une pincée de bon sens n’aurait-elle pas suffi et ne suffirait-elle pas encore aujourd’hui – devant la CAA de Versailles ou le Conseil d’Etat – à distinguer une opération d’échange visant essentiellement à garantir la pérennité d’une entreprise à caractère familial des montages sophistiqués reflet d’une créativité financière débridée au service exclusif de l’appât du gain ?

 

[i] Un exposé plus complet des faits se trouve dans les avis mentionnés ci-après du CADF, dans les jugements  également mentionnés ci-après du TA de Montreuil et dans les conclusions correspondantes du rapporteur public, C. Noël, in Dr.Fisc n° 49, 2020, comm 471.

[ii] Avis n° 2016-20, 2016-21, 2016-22 et 2016-23, in Rapport annuel 2016, p 9 et 40-43 ; Dr. fisc. 2017, n° 3, étude 59.

[iii] Jugements n°   1811987, 1706787, 1812220, 1811931, RJF 12/19/1172

[iv] Olivier Fouquet, Dr.fisc. 2019, n° 42, « Versement d’une soulte sans abus de droit : une justification admise par la juridiction » comm. 442.

[v]   Eric Meier, Régis Torlet, Diane Badreddine, « Abus de droit et intention du législateur : par ici la bonne soulte… (mais par là, la moins bonne ? »  Dr. Fisc 2019, n° 49, comm 471.

[vi] J.Y.Mercier et R.Gentilhomme  « Apport avec soulte et abus de droit : pour un retour aux fondamentaux », Feuillet Rapide ; EFL,  47/19.

[vii] CE, 8 octobre 2010, Min. c/ M. et Mme Bauchart, n° 313139, Dr. Fisc 2010, n° 45, comm.553.

[viii] CE, 27 juillet 2012, Berjot, n° 327295, RJF 2012 n° 1042, concl. É. Crépey BDCF 11/12 n° 129.

[ix]  CE, M. et Mme Gautier, n° 412408, 22 septembre 2017 ; M. et Mme Martin, 10 juillet  <LEC>2019, n°411474 RJF 10/19 n° 948, concl. E. Bokdam-Tognetti C 948, note O. Fouquet Dr.Fisc 2019 n° 37 comm. 362.</LEC>

[x] CE, M. Gautier, 22 septembre 2017, n° 412408

[xi] Jérôme Turot, « La fin du Tout noir ou tout blanc ? », Dr. Fisc 2020, N° 10 ; Régis Vabres « Sursis d’imposition et abus de droit », ibidem comm. 180

[xii] CE, 12 juillet 2017, Bourgeois, n° 401997, RJF 11/17 n°1109, concl. R.Victor  p. 1542 (C 1109), chronique A. Iljic RJF 10/17 p. 1215

[xiii] CE, Société Sagal,18 mai 2005, n° 267087, RJF 8-9/05, n° 910, concl.P. Collin BDCF 8/9/05, n°110; Abbey National, 24 avril 2012, n° 343709, RJF 7/12 n° 735,concl. L.Olléon, BDCF 7/12 n° 89 ; Natixis 11 mai 2015, n° 365564, RJF 8-9/15 , n° 718 ; Ingram Micro, 13 janvier 2017, n° 391196, RJF 3/17 n° 250, chron A.Iljic, RJF 4/17, p 435 corrigée par une seconde décision du 19 juillet 2017, n° 408227, RJF 11/17, n° 1120, note O. Fouquet, Dr.fisc 2017, n° 43-44, comm.529 ; concl E. Crépey, RJF 3/17, C 250 ;   Verdannet et autres du 25 octobre 2017, n° 396954,  RJF 1/18 n° 70 ; 3 décembre 2018, Sté Manpower France 2018 n° 406617 : RJF 3/19 n° 283.

[xiv] CJCE, C-321/05,  Kofoed,   5 juillet 2007 ; concl. J.Kokott JurisData n° 2007-009604 ;Rec.CJCE,I,p. 5795 ;

Europe 2007, comm. 238, obs. É.Meisse.

[xv] CJCE   Streekgewest Westelijk du 13 janvier 2005, aff. C-174/02 : Rec. CJCE 2005, I, p. 114 ; RJF 4/2005, n° 416 ; Distribution Casino France SAS,27 octobre 2005, aff. C-266/04 : Rec. CJCE 2005, I, p. 9515 ; RJF 1/2006,

n° 111) ; CJUE, Régie Networks du 22 décembre 2008, Aff. C-333/07 : RJF 3/2009, n° 303).

[xvi] Conseil d’Etat, SELARL Pharmacie des Chalonges, 5 mars 2007, n° 284457, Dr.Fisc 2007, n° 20, comm 522, note O.Fouquet ; RJF 2007, n° 600, concl.P.Collin

[xvii] Réserve étant faite du présent cas où, en vertu de la rédaction de l’article L 64 applicable, le contribuable supportait la charge de la preuve lorsque l’avis du comité lui était défavorable.

[xviii] Conseil constitutionnel, n° 2017-638 QPC , 16 juin 2017

[xix] JORF Sénat, année 2016, n° 121 S. (C.R.) p 19538.