Immoweek Spécial Covid-19 | Quel est l’impact du Covid-19 sur le marché japonais ?
Immoweek Spécial Covid-19 | Quel est l’impact du Covid-19 sur le marché japonais ?
Cap sur le Japon avec Lionel Vincent, avocat associé, LPA Tokyo, qui décrypte, dans cette chronique pour Immoweek, les conséquences juridiques de la pandémie Covid-19 sur les baux, les contrats en cours et les dettes hypothécaires.
Après bien des hésitations tenant à l’importance des conséquences liées au report des JO, le gouvernement japonais a promulgué, le 7 avril 2020, l’état d’urgence sanitaire. Pour autant, des mesures de soutien à l’égard des acteurs économiques ont été adoptées depuis mars dans le pays. Ces mesures exceptionnelles ont vocation à soutenir l’emploi ou encore offrir des leviers financiers aux entreprises.
Toutefois, à la différence de la France, le gouvernement japonais n’a pas adopté de report des loyers ni de mesures dérogatoires applicables aux marchés publics. Pour autant, le ministère du Territoire, des Infrastructures, des Transports et du Tourisme japonais (MLIT) se mobilise afin d’inviter les professionnels du secteur à assouplir les mesures applicables au secteur immobilier.
1. Les contrats de bail
L’aménagement des loyers. L’absence de loi prévoyant un report des loyers, comme en France, laisse au bailleur la liberté de consentir bona fide des reports ou réduction de loyers.
A défaut d’accord du bailleur, tout retard dans le paiement du loyer constitue un manquement, sauf disposition contraire. En outre, à défaut d’un lien de causalité suffisant, la baisse des revenus des locataires du au Covid-19 ne semble pas constituer un motif suffisant pour les exonérer de leur obligation de payer (art. 419 §3, Code Civil). Néanmoins, il est préférable pour les bailleurs d’accorder un report des loyers sur une période raisonnable au risque d’aggraver la santé financière des locataires à moyen et long terme.
S’agissant de la réduction des loyers, il convient de vérifier si cette possibilité est prévue dans le contrat. A défaut, la conclusion d’un accord entre le bailleur et le locataire est encouragée. Les tribunaux apprécient la bonne foi dans les rapports entre les parties. Si aucun accord n’est envisageable, le locataire dispose de trois fondements légaux au sens du droit japonais. En ce sens, la réforme du Code Civil japonais [1] entrée en vigueur le 1er avril élargit les possibilités de réduction des loyers. Au visa de l’article 611§1 nouveau du Code Civil, la réduction du loyer d’un bien locatif est possible s’il ne peut être utilisé ou n’est plus profitable en raison d’un fait extérieur au locataire. Le loyer est alors réduit à proportion de la perte financière subie par le locataire. En pratique, si les hôtels ou bureaux inutilisés génèrent des pertes de revenus pour le locataire, l’applicabilité de la réforme du Code Civil pour obtenir la réduction du loyer demeure incertaine et soumise à une interprétation in concreto. Par ailleurs, la loi spéciale relative aux baux [2] prévoit dans son article 32 la possibilité de réviser le loyer en cas d’augmentation ou de réduction des taxes ou charges pesant sur le terrain ou l’immeuble. Cette disposition est, néanmoins, exclue pour les baux à durée déterminée (art. 38 de la loi précitée). Pour l’heure, la pandémie n’a pas d’incidence sur le court immobilier ni sur les loyers de sorte que ce fondement semble incertain. Enfin, la théorie du changement de circonstances (connue en droit japonais sous le nom de jijo henko no gensoku) permet de solliciter une révision du loyer.
Les obligations du bailleur. En vertu de l’article 606 du Code Civil, le bailleur est tenu d’opérer l’entretien requis pour la jouissance paisible du bien mis à disposition. En conséquence, il lui revient de mettre en œuvre les mesures adéquates permettant de garantir la sécurité du preneur dans l’accès et l’utilisation du bien. En pratique, cela peut s’illustrer par l’affichage des consignes d’hygiène, la mise à disposition de produits d’hygiènes dans les lieux communs, la restriction des entrées, ainsi que l’entreprise de travaux de désinfection. Bien que les circonstances soient exceptionnelles, le bailleur reste tenu de garantir l’accès et la jouissance des lieux en toute sécurité sous peine de voir sa responsabilité engagée.
2. Les contrats en cours
Les mesures exceptionnelles liées à la crise sanitaire ne constitue pas per se un cas de force majeure. Les parties tenues par un contrat sont liées par ses termes. L’impossibilité d’exécuter ses obligations contractuelles (comme le respect des horaires d’ouverture et de fermeture d’un local commercial) peut se justifier par des dispositions exceptionnelles mises en place par une mesure d’urgence. Néanmoins, au Japon, les mesures adoptées par les autorités publiques étant moins impératives qu’en France, elles ne permettent pas au débiteur de s’exonérer de ses obligations sauf à ce que le contrat contienne une clause de force majeure visant expressément les actes des autorités/gouvernement.
La suspension des chantiers en cours. Le MLIT invite les opérateurs des marchés publics à suspendre les opérations des chantiers en difficulté du fait du Covid-19. De même, les calendriers et budgets des chantiers sont encouragés à être amendés lorsque leur poursuite est rendue impossible. Un aménagement du prix est prévu. Ces mesures illustrent des cas de figure où le Covid-19 entraîne des retards dans l’exécution de contrats. L’indisponibilité de la main d’œuvre ou encore le retard dans l’approvisionnement des matières premières liées directement au Covid-19 sont de nature à suspendre les chantiers. Le cas échéant, le créancier des opérations ne peut se prévaloir de dommages et intérêts du fait de l’inexécution des obligations contractuelles liée à la pandémie. S’agissant des coûts financiers additionnels engendrés par les retards, le débiteur est en principe responsable et tenu de supporter ces frais. Néanmoins, selon le degré d’importance de ces coûts, il est en mesure de solliciter un partage des frais afin d’éviter un déséquilibre significatif entre les obligations des parties.
Par ailleurs, le droit spécial japonais prévoit la possibilité de suspendre ou résilier un contrat de construction en contrepartie d’une compensation financière selon le degré d’avancement des travaux. Ces options sont envisageables également en cas de retard significatif selon qu’il y ait un motif raisonnable. A l’instar de la force majeure, l’appréciation se fait in concreto, soit au cas par cas.
3. Les dettes hypothécaires
Les dettes hypothécaires. Le MLIT a invité les opérateurs à faire preuve de flexibilité à l’égard des acteurs économiques dont les revenus ont été affaiblis par la pandémie. En ce qui concerne les dettes hypothécaires, le ministère a sollicité le soutien des professionnels du secteur pour mettre en œuvre des délais de grâce à l’égard de ces débiteurs. De son côté, l’Agence des Services Financiers (Financial Services Agency, dite FSA) agit en qualité de régulateur et supervise les demandes de report dans le remboursement des dettes hypothécaires.
En somme, bien qu’il soit encore délicat d’établir un bilan de l’impact du Covid-19 sur le marché immobilier japonais, les solutions juridiques, bien que moins contraignantes qu’en France, sont nombreuses pour combattre les effets secondaires du virus.
[1] Loi portant réforme du Code Civil, du 26 mai 2017, n°44, consultable en ligne (disponible uniquement en japonais) www.moj.go.jp/content/001242222.pdf
[2] Loi spéciale sur les baux, du 21 déc. 1997, n°132