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Smart Alert Covid-19 | Maroc | Coronavirus et force majeure : quelles conséquences en matière contractuelle ?

Casablanca, le 6 avril 2020

Smart Alert Covid-19 | Maroc | Coronavirus et force majeure : quelles conséquences en matière contractuelle ?

Le Maroc a pris très vite des mesures pour contenir la pandémie de Covid-19 (la Pandémie) : confinement, fermeture de la plupart des commerces (restaurants, cafés, cinémas, théâtres, salles de fête, salles de sports, etc.).

Deux décrets-lois ont été publiés au Bulletin officiel marocain n° 6867 bis du 24 mars 2020 (les Décrets) :

  • le décret-loi n°2-20-292 édictant des dispositions spéciales à l’état d’urgence sanitaire et les modalités de son annonce, qui donne une assise légale à l’annonce de l’état d’urgence sanitaire, lequel est indéfiniment renouvelable. L’article 6 du décret-loi suspend le cours de tous les délais prévus par les textes législatifs et réglementaires en vigueur pendant toute la durée de l’état d’urgence ;
  • le décret-loi n°2-20-293 relatif à l’annonce de l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire national pour lutter contre le coronavirus-covid19, qui déclare l’état d’urgence sanitaire du vendredi 20 mars à 18H00 jusqu’au 20 avril 2020 à 18H00 (renouvelable si la Pandémie persiste), et impose certaines mesures restrictives de confinement.

Dans ce contexte, certains acteurs économiques ne pourront peut-être pas exécuter leurs obligations contractuelles et tenter d’invoquer la force majeure pour justifier cette inexécution. Le droit marocain prévoir en effet que le débiteur puisse ne pas exécuter une obligation, sans qu’il ne soit possible de lui demander des dommages-intérêt, si cette inexécution provient d’une cause qui ne peut lui être imputée, telle que la force majeure.

Ainsi, la question de savoir si la Pandémie peut être qualifiée de cas de force majeure est-elle essentielle.

Notre étude vous donne des éléments qui pourront alimenter votre réflexion, comme débiteur d’une obligation ou comme créancier, pour prévoir ce qu’il sera possible à votre débiteur d’invoquer.

Selon la définition théorique du droit marocain[1] (1), la Pandémie pourrait être qualifiée de force majeure si elle est imprévisible (1.1), inévitable (1.2) et extérieure (1.3).

La force majeure a pour effet principal l’exonération de la responsabilité du débiteur, mais ses conséquences sur la relation contractuelle peuvent être aménagées d’un commun accord entre les parties (2).

Chaque cas d’espèce devra bien entendu être apprécié de manière particulière, d’autant plus que les juges ont une place prépondérante dans l’appréciation et l’interprétation de cette notion en fonction de chaque situation (3).

1. La Pandémie répond-elle en théorie aux caractéristiques de la force majeure ?

1.1 La Pandémie est-elle un événement imprévisible?

L’événement de force majeure doit avoir été raisonnablement imprévisible lors de la conclusion du contrat pour être qualifié d’événement de force majeure : par exemple, il serait difficile d’invoquer l’imprévisibilité de la Pandémie dans un contrat conclu en avril 2020. Cette seule circonstance pourrait exclure la qualification de force majeure quand bien même elle rendrait impossible, dans quelques semaines, l’exécution de ce contrat.

La condition de l’imprévisibilité pourrait être considérée comme remplie si le contrat a été conclu avant l’apparition de la Pandémie, ou à tout le moins avant l’information du public de son ampleur.

Cependant, le créancier pourra toujours faire valoir qu’il a déjà existé dans le passé des crises sanitaires d’une ampleur ou d’une nature proche pour disqualifier la Pandémie de ce critère.

En effet, en l’absence de jurisprudence marocaine publiée en matière, la jurisprudence de Cours d’appel françaises pourrait nous servir d’exemple à titre comparatif, selon laquelle le bacille de la peste[2], les épidémies de grippe H1N1[3], le virus de la dengue[4]ou encore celui du chikungunya[5] n’ont pas été retenues comme des cas de force majeure en raison de leur prévisibilité.

De manière synthétique, dans ces précédents cas, les juges ont considéré soit que les maladies étaient connues, de même que leurs risques de diffusion et effets sur la santé, soit que leurs conséquences n’étaient pas assez importantes, et ont donc écarté qu’elles puissent être invoquées pour refuser d’exécuter une obligation ou demander une résolution de contrat.

Une épidémie n’est donc pas nécessairement en elle-même un cas de force majeure.

D’un autre côté, le débiteur d’une obligation fera probablement valoir que le Covid-19 est un nouveau virus, inconnu chez l’Homme et contre lequel il n’existe pas encore de vaccin. Ou encore que sa vitesse et l’ampleur de sa propagation sont inédites. Enfin, les mesures strictes prises par de nombreux pays pour enrayer la propagation de la Pandémie, et notamment la déclaration de l’état d’urgence sanitaire au Maroc à travers les Décrets, seraient constitutives d’une situation sans précédent qui justifieraient le critère de l’imprévisibilité.

1.2 La Pandémie a-t-elle entraîné des effets inévitables engendrant une impossibilité d’exécution?

Pour constituer un cas de force majeure, la Pandémie devrait être considérée comme un événement qui ne peut être évité, même dans le cas où le débiteur a déployé toutes les diligences nécessaires pour s’en prémunir ; l’irrésistibilité devant rendre impossible l’exécution de l’obligation considérée : par exemple si le débiteur est lui-même touché par le Covid-19 avec des symptômes invalidants, ou s’il résulte des mesures de confinement une désorganisation de sa production le plaçant dans l’impossibilité de livrer ses clients, ou encore parce que les Décrets ont prohibé des déplacements indispensables à l’exécution de l’obligation.

Il faudra ici bien analyser non seulement l’impossibilité d’exécuter, mais aussi le lien entre l’événement que le débiteur souhaite voir comme un cas de force majeure et cette impossibilité : s’il n’existe pas de lien entre l’événement et l’impossibilité, ou si le lien est trop distendu pour établir une relation de cause à effet, alors la force majeure ne sera pas caractérisée. L’analyse sera subtile et c’est dans cette subtilité que l’on trouvera la solution de l’application ou non de la force majeure.

1.3  Un événement échappant au contrôle du débiteur

L’événement de force majeure ne doit pas subvenir de la faute de la partie qui ne peut plus exécuter ses obligations.

Dès lors que l’inexécution est directement liée à la Pandémie, et non au manquement du débiteur, la condition pourrait être considérée comme remplie. Un virus à la propagation inédite, justifiant la déclaration d’état d’urgence sanitaire par le Maroc et par de nombreux pays, pourrait bien sembler en principe hors du contrôle de simples contractants. Toutefois, là encore, il pourra exister des subtilités en fonction de chaque situation qu’il faudra bien étudier.

2. Effets de la force majeure

2.1 Exonération de responsabilité

Le débiteur ne doit pas de dommages-intérêts au créancier d’une obligation qui n’est pas réalisée en raison d’un cas de force majeure.

Lorsqu’elle est admise, la force majeure est donc exonératoire de responsabilité, c’est-à-dire que la responsabilité qui aurait normalement dû être retenue, est écartée.

Si la force majeure est caractérisée, une distinction est à opérer selon que :

  • l’impossibilité d’exécuter est temporaire : par exemple la production des marchandises pourra reprendre dès le pic épidémique passé (c’est d’ailleurs déjà le cas en Chine), l’état d’urgence sanitaire est limité dans le temps (pour le moment jusqu’au 20 avril au Maroc), etc.Dans ce cas, l’exécution de l’obligation empêchée est suspendue, ce qui pourra avoir des effets sur la suspension du contrat dans son intégralité. Dans les contrats dits « synallagmatiques », le créancier du débiteur empêché ne manquera pas d’invoquer en face l’exception d’inexécution, c’est-à-dire de ne pas accomplir sa propre obligation tant que celle de son débiteur n’est pas exécutée, mais le créancier ne pourra pas exiger de réparation pour le préjudice que lui cause cette suspension. Le contrat pourrait reprendre ensuite son cours normal à la fin de l’empêchement.Cependant, cet effet suspensif pourrait être écarté si la nature du contrat est telle que l’exécution de l’obligation n’aurait plus de sens si elle devait être retardée, et ce, même si l’empêchement est temporaire. Ce pourrait être le cas pour la livraison de denrées périssables qui sont des corps certains par exemple : le contrat serait alors résolu sans indemnités dues.
  • l’empêchement en résultant est définitif, auquel cas l’une ou les parties pourraient provoquer la résolution du contrat. Aucuns dommages et intérêts ne seraient dues par la partie qui n’a pas exécuté son obligation pour le préjudice subi par son cocontractant du fait de l’inexécution et de la résolution du contrat.

2.2 Aménagements contractuels

Dans un Maroc qui accueille le principe de la liberté contractuelle (article 230 du DOC), la définition, les effets et les conséquences de la force majeure sur la relation contractuelle nous semblent pouvoir être aménagés conventionnellement par les parties : définitions contractuelles des cas de force majeure (grève, pandémie, etc.), aménagement du régime du cas de force majeure (délai d’information du créancier, documents probatoires, procédure d’expertise, effets sur les obligations des parties, charge de la survenance d’un cas de force majeure, etc.).

Cela signifie qu’il est impératif de bien vérifier les stipulations contractuelles avant de pouvoir déterminer si un événement peut constituer un cas de force majeure entre les parties.

Par exemple, si la Pandémie pouvait légalement, dans une situation précise, être qualifiée de force majeure, l’application des stipulations contractuelles pourraient conduire à exclure la possibilité pour un débiteur de la revendiquer, parce que les parties seraient convenues que ce débiteur ne pourrait pas se prévaloir de ce cas, ou parce que les conditions d’application de ce cas ne seraient pas remplies.

Ainsi, d’une situation légale qui aurait pu sembler permettre au débiteur de ne pas exécuter son obligation, la situation contractuelle pourrait conduire à l’obliger à s’exécuter ou à devoir des dommages-intérêts en cas d’inexécution.

3. Rôle des juges dans l’appréciation de la force majeure

Bien qu’en apparence qualifiée, parce que les critères seraient remplis, ou parce que les stipulations contractuelles permettraient de lui donner effet, la qualification de la force majeure dépend largement des circonstances de l’espèce, et laisse une place importante à l’interprétation des juges qui l’apprécient in concreto.

Les juges ou les arbitres conservent une appréciation souveraine des faits et une interprétation tout aussi souveraine des textes qui détermineront au cas par cas si la Pandémie constitue un événement de force majeure dans telle ou telle situation.

Le cocontractant défaillant devra se justifier et établir les éléments de preuve attestant que son inexécution provient bien d’un événement imprévisible, irrésistible et extérieur, le tout en conformité avec le contrat qui le lie à son créancier. Les juridictions supérieures marocaines sont très exigeantes sur la motivation et les preuves de la force majeure. La Cour de cassation marocaine a en effet affirmé dans un certain nombre d’arrêts[6], que les preuves de la force majeure doivent être fondées sur la certitude et non pas sur un doute ou une supposition.

Ce document est à usage informatif uniquement ; il n’est pas exhaustif et chaque situation doit faire l’objet d’une analyse au moyen d’une véritable consultation juridique.

[1] Article 269 du dahir des obligations et des contrats (DOC)  : La force majeure est tout fait que l’homme ne peut prévenir, tel que les phénomènes naturels (inondations, sécheresses, orages, incendies, sauterelles), l’invasion ennemie, le fait du prince, et qui rend impossible l’exécution de l’obligation.

N’est point considérée comme force majeure la cause qu’il était possible d’éviter, si le débiteur ne justifie qu’il a déployé toute diligence pour s’en prémunir.

N’est pas également considérée comme force majeure la cause qui a été occasionnée par une faute précédente du débiteur.

[2] Cour d’appel de Paris, Chambre 25 section B, 25 Septembre 1998

[3] Cour d’appel de Besançon, 8 janv. 2014, n° 12/0229

[4] Cour d’appel de Nancy, 22 nov. 2010, n° 09/00003

[5] Cour d’appel de de Saint-denis de la Réunion – ch. Sociale – 29 décembre 2009 / n° 08/02114

[6] Par exemple, Cour suprême, 4 février 2014 dossier n°54/7 et 10 janvier 2019 dossier n°1/24.